Des références pour les Hommes de notre temps Lyautey a écrit : "Celui qui n’est que militaire n'est qu'un mauvais militaire, celui qui n'est que professeur n’est qu’un mauvais professeur, celui qui n’est qu'industriel n’est qu’un mauvais industriel. L'homme complet, celui qui veut remplir sa pleine destinée et être digne de mener des hommes, être un chef en un mot, celui-là doit avoir ses lanternes ouvertes sur tout ce qui fait l’honneur de l’humanité.”
Homme de pensée et homme d’action, il a aussi écrit : “Pour moi, qui ne comprends pas la pensée séparée de l'action, qui ai la même horreur des. intellectuels rachitiques que des soudards imbéciles, j'etais bien dans l'état d'âme propice à ce pèlerinage “. (lettre d’Olympie lors de son voyage en Grèce en 1893) , ajoutant un peu plus tard : « Cela fait toujours plaisir de rencontrer un cérébral qui est aussi un fort et un actif ». La vie et l'oeuvre du Maréchal Lyautey illustrent ces propos, Il fut tout à la fois, soldat, pacificateur, colonial, administrateur, négociateur, homme de management et de communication, bâtisseur et urbaniste, écrivain, pédagogue, artiste et protecteur des arts. De son vivant, le rayonnement de Lyautey avait déjà inspiré bien des écrivains et des conférenciers, soit parce qu'ils avaient servi au sein de son équipe, soit parce qu’ils l’avaient côtoyé en des occasions diverses ou tout simplement observé à travers ses réalisations.
Par la suite, son épopée n’a cessé de solliciter l’intérêt des écrivains et des historiens dignes de ce nom, si bien qu’aujourd’hui, c'est par dizaines et même par centaines que se comptent biographies, récits, études, articles, mémoires ou thèses sans qu’il soit possible d’affirmer que tout a été dit sur le personnage et sur son oeuvre. Et ceci est compréhensible.
En effet, Hubert Lyautey, homme de contraste, homme de pensée et d'action, laissait une large place dans son comportement à l'intuition : il pressentait les événements. Être tourmenté, de son insatisfaction il avait fait une force illustrée par sa devise “La joie de l’âme est dans l’action”. Mais, le Maréchal Lyautey est resté souvent insaisissable, même pour ses proches. Il refusait de se laisser enfermer dans des clichés et, selon sa formule, d’être ceci ou cela, mais ceci et cela. Aussi continue-t-il, à juste titre, d’exciter la curiosité.
Il attire parce que ses écrits, comme ses réalisations et ses centres d’intérêt dans les domaines les plus variés poussent à la réflexion. Il ne donne pas de recettes, synonymes de paresse intellectuelle et de routine, mais il énonce des principes. La méthode Lyautey, c’est un état d’esprit, c’est un dynamique qui pousse à la recherche d’ une méthode personnelle adaptée aux hommes et aux circonstances. «Le but, toujours le but» , c’est une des constantes chez Lyautey qui s'efforce toujours d'envisager les hommes et les faits par rapport à leur finalité:. Dans la conception et la conduite de l’action, ce qui prime, c’est la "subordination des moyens au but"
Chez Lyautey tout incite à en savoir davantage. Historiens, hommes de lettres, chercheurs, chacun a traduit avec sa sensibilité, son talent et souvent son coeur le fruit de son travail. Au fil du temps, chacun, profitant d’un fonds d’archives considérable qui ne cesse de s’enrichir, a apporté un plus à la connaissance de cet homme d’exception. Toutes les contributions sont les bienvenues. De cette diversité, peut se dégager un certain nombre de thèmes. Leur approfondissement, à partir de travaux déjà faits ou à faire, doit permettre de tirer des enseignements, de dégager des pistes de réflexion et, le cas échéant de mettre en exergue ce qui peut se traduire en termes de message et de référence.
L’énoncé des thèmes retenus tient compte des propositions émises par les participants lors du colloque de 2006. Il est assorti de l'évocation de pistes de recherche (le site est évolutif) qui seront progressivement complétées par des références, des citations, de textes déjà publiés ou nouveaux au format PDF. 1 - Lyautey, homme d’Etat 11 - Lyautey et la démocratie 12 - Allocution de Lyautey le 1er janvier 1919 à Casablanca 2 - La politique coloniale de Lyautey
3 - Lyautey et le "State building" - Une communication du Général Garreau au colloque de la Saint-Cyrienne en 2008 4 - Lyautey, homme de management 5 - Lyautey, homme de communication 6 - Lyautey, artiste et protecteur des arts 61 - Paroles de Lyautey sur la sauvegarde et la renaissance de l’art marocain 62 - La vie des arts au temps du Protectorat au Maroc 63 - Une lettre du Général Lyautey 64 - Lyautey et la musique 7 - Lyautey écrivain et protecteur des lettres - Introduction de "Lyautey écrivain" par le Professeur Le Révérend 8 - Lyautey, un style d’architecture et d’urbanisme - Lyautey énonce ses idées directrices sur ses réalisations au Maroc 9 - Lyautey et sa politique musulmane
91 - Lyautey et la mosquée de Paris (Historique et discours intégral du Maréchal Lyautey, le 19 octobre 1922, lors de la pose de la première pierre du mihrab (sanctuaire). 92 - La politique musulmane de Lyautey au Maroc, communication du Professeur Jamaâ Baïda (Rabat) au colloque Lyautey à l'Ecole Militaire de Paris en 2006. 10 Lyautey, créateur d’une administration marocaine 11 Lyautey et le développement économique du Maroc 12 Lyautey, l’humanitaire et la santé publique au Maroc 13 Lyautey, le devoir social et le catholicisme social 14 Lyautey et l’Europe 15 Lyautey et les Pays de la Méditerranée 16 Lyautey et l'ouverture sur le monde - Lyautey CITOYEN du MONDE - Une occasion pour Lyautey d’un hommage aux États-Unis d’Amérique 17 Lyautey et l'aviation française Plaidoyer de Lyautey "Pour l’aviation française' 18 Lyautey et la Lorraine 19 Lyautey et la jeunesse 20 Lyautey et le Guerre de 1914-18 21 Les actions sociales de Madame Lyautey
21 titres de thèmes dont le contenu s'étoffe progressivement 1er THÈME : Lyautey, homme d’EtatOn peut inclure sous ce titre les idées et les prises de position de Lyautey sur les équilibres mondiaux, sur la politique intérieure et extérieure de la France, sur la conduite de la guerre 1914-18, sur l’Europe, sur les relations à instaurer avec le Maghreb et avec les Pays de la Méditerranée. 11 - Lyautey et la démocratie Extrait de l'allocution prononcée à Rabat le 14 juillet 1918 los de la réception des Français pour la fête nationale Oui, ceux qui ne comprennent pas ne sont qu'une infime minorité, mais c'est à vous tous, c'est à la majorité qui pense comme moi, à parler haut et à faire la loi. Malheureusement, c'est ce que les majorités n'osent jamais. Tenez, en France, pendant les quelques semaines que j'ai passées au ministère, une chose me suffoquait: on venait me dire, dans mon cabinet de ministre, les choses les plus justes, les plus conformes à la situation, s'inspirant du patriotisme le plus élevé, et, le lendemain, à la Chambre, devant le public, rien de tout ça n'existait plus. Et j'entendais les mêmes hommes tenir un langage absolument contraire, parce qu'il n'existait plus qu'une préoccupation: la réélection. Et lorsque je m'en indignais, on me répondait assez piteusement: « Que voulez-vous, ce sont les nécessités du régime démocratique. »
Eh bien non! je m'inscris en faux, au nom de la démocratie et à son honneur. On ne peut dire certes que l'Amérique ne soit pas en démocratie, ni l'Angleterre, sous son couronnement monarchique. Or, écoutez le langage que tiennent à ces pays leurs chefs politiques. Leurs discours sont des modèles, parce qu'ils ne se croient pas obligés, eux, de flatter une opinion publique illusoire. Ils parlent à leur pays gravement, rudement même, et ils ont raison, car le devoir des chefs, ce n'est pas de prendre le vent et de suivre, mais, au contraire, de guider, de diriger, d'orienter. Et la voilà, la vérité démocratique ! Et, j'ajouterai même, cela s'impose bien plus encore dans les démocraties qu'ailleurs, parce que les démocraties, du fait que tous participent au pouvoir, ont besoin, plus que tout autre régime, que l'opinion soit constamment dirigée. Et lorsqu'on leur parle de langage qu'il faut, elles comprennent toujours. Il n'y a pas de pire erreur que de s'imaginer, parce que l'on hurlera avec les loups et bêlera avec les moutons, qu'on satisfera l'opinion et qu'on se rendra populaire. D'abord, ceux qui sont au pouvoir et y gardent le souci prédominant de se rendre populaires sont indignes de commander. Il n'y faut plus écouter que sa conscience, son devoir vis-à vis du pays, vis-à-vis de la postérité et de soi-même, sans aucun souci des applaudissements qu'on peut recueillir. C'est pourquoi je vous parle comme je le fais, pour que vous le répétiez à tous, remplissant le devoir que m'imposent mon âge, ma charge, les fonctions que j'ai remplies, celles que je remplis aujourd'hui, et la connaissance que la situation que j'occupe me donne de l'ensemble de la situation. 12 - Allocution du 1er janvier 1919 Le 1er janvier 1919, le futur Maréchal Lyautey, alors Résident Général de France au Maroc, s’adressait aux militaires et civils français rassemblés à Casablanca à l’occasion de la nouvelle année. L’allocution de ce véritable homme d’Etat ne peut que nous faire réfléchir à la fois sur sa lucidité et son courage et sur la valeur de son message transposable dans bien des situations dans l’actualité.
En publiant le texte de cette allocution dans « Paroles d’action » Lyautey lui avait donné pour titre :
Célébration de la victoire récente;Prévision des crises qui nous attendent encore;Appel a la patience et a la nécessité de continuer l'effort et l’avait introduit de la manière suivante : Dans la joie de la victoire, ce rappel immédiat aux réalités s'imposait. Alors que, en France, I'armistice marquait bien la fin de la lutte, au Maroc cette lutte continuait, et plus âpre encore. Une grande partie du pays nous résistait toujours; mais, par suite de la démobilisation et du rappel immédiat des unités territoriales formant l'appoint le plus solide de nos forces, nos effectifs se trouvaient subitement réduits. Pour les indigènes des zones dissidentes, la victoire d'Europe ne leur apparaissait ainsi que sous l'aspect d'une notable diminution des forces qui leur tenaient tête. Une propagande, qui ne désarma jamais, exploitait largement cette situation auprès d'eux. D'autre part, il y avait de notre coté une lassitude de l'effort d'autant plus grande que les yeux se portaient vers la France où, la question militaire ne se posant plus, c'était pour tous la détente, le repos, si longtemps attendus. Il y eut là une période matériellement et moralement des plus dures, exigeant de ceux qui avaient la charge du commandement des rappels constants et particulièrement ingrats.
Allocution du Général Lyautey à Casablanca, le 1er janvier 1919 Pour la première fois depuis quatre ans, nous nous réjouissons dans la joie de la victoire, de cette victoire si éclatante et si complète dépassant toutes les espérances et toutes les prévisions. A la nouvelle triomphale de l'Armistice, ici, à Casablanca et à Rabat, nous avons laissé déborder notre enthousiasme, nous avons communié dans le même élan. Mais déjà, en ces heures d'allégresse inoubliables, j'ai cru de mon devoir de chef de Gouvernement de signaler discrètement que la fin des hostilités ne marquerait pas la disparition des difficultés ni le retour immédiat à la vie normale. L'expérience de ces sept semaines n'a fait que confirmer et grandir cette impression. Certes, I'ennemi a subi la plus lourde défaite sanctionnée par des conditions rigoureuses; il est rejeté hors de notre sol libéré, et bien au-delà. Non seulement les noms de Strasbourg et de Metz, mais ceux de Mayence, de Coblence et de Cologne retentissent à nos oreilles, étapes triomphales de nos armées victorieuses; la puissance de l'Allemagne s'est effondrée, et nous ne saurons jamais avoir assez de gratitude pour les artisans de la victoire, pour nos troupes, pour ceux qui ont eu la charge de nos destinées militaires et politiques, et, avant tous, Foch, Clemenceau, le président de la République, ainsi que pour nos grands alliés. Mais, à défaut d'autres informations, il suffirait de lire les communiqués et les journaux pour se rendre compte que l'ordre, la paix, la vie normale ne se restaurent pas en un jour, au lendemain d'une secousse comme le monde n'en a jamais connue. Ici même, au Maroc, la plupart des problèmes que la guerre avait posés subsistent toujours. Au point de vue économique, c'est la crise du fret que rien n'a atténuée encore et sur laquelle il n'est pas toujours en notre pou voir d'agir, car sa solution est loin de dépendre uniquement de nous et même de la métropole ; — c'est la crise de la démobilisation qui, alors qu'en France elle aura pour résultat de rendre ses ressources à l'arrière, nous privera ici de l'appoint inappréciable de tant de valeurs individuelles que la guerre nous avait prêtées, et avant tout de l'appoint des territoriaux dont je saisis cette occasion de reconnaître avec vous les services éminents. Il en résultera donc pour nous, tout d'abord, une aggravation momentanée de la crise du personnel, aussi bien pour les intérêts particuliers que dans les services publics. Au point de vue militaire, c'est également par une aggravation de la crise des effectifs que se font sentir les premières conséquences de la victoire. Ici, à l'arrière, cette situation est difficilement perceptible, mais elle pèse durement sur l'avant. L'action de l'ennemi sur les régions dissidentes ne s'est pas éteinte du jour au lendemain. Il a posé, là aussi, des mines à retardement. Dans les régions lointaines, les dissidents, que les nouvelles n'atteignent que lentement, ne croient pas encore à notre victoire et ne constatent qu'un fait matériel, c'est que nos effectifs fondent de plus en plus et que pas une troupe n'est encore revenue de France, affirmant matériellement nos succès. Il y a enfin les causes profondes de résistance bien antérieures à la guerre, qui subsisteront après elle chez ces populations, la passion de l'indépendance, le fanatisme xénophobe et l'esprit de résistance à l'ordre et à l'organisation. Et c'est pourquoi, ici, I'effort militaire ne doit pas se relâcher un instant. J'ai appelé toute l'attention du Gouvernement sur cette situation. J'ai déjà l'assurance qu'il nous donnera à bref délai les moyens d'en sortir sans dommage. Mais, d'ici là, et pour maintenir la soudure jusqu'au retour de nos unités actives, il y a une période de transition des plus critiques à franchir. Je devais à la confiance que nous nous sommes toujours témoignée de vous exposer cette situation, de procéder à cette mise au point indispensable. Car jamais je n'ai eu plus besoin de votre union et de votre concours, et, ayant le droit de compter sur l'une et l'autre, mon premier devoir était de vous éclairer. Il me coûte, certes, de faire encore appel à tant d'efforts, après tous ceux que j'ai du demander depuis quatre ans. Et je veux que la dominante des paroles que je vous adresse aujourd'hui soit la confiance et la gratitude: Confiance et gratitude envers vous, messieurs les fonctionnaires, dont je sais le dévouement, I'effort et le désintéressement. Ah ! depuis quatre ans votre tâche a été de plus en plus lourde. Vos rangs se sont éclaircis. Il vous a fallu remplir une besogne toujours croissante avec un personnel de plus en plus restreint. Il est facile de médire de M. Lebureau, mais quand on voit de près, comme je le fais, la tâche écrasante à laquelle il a à faire face dans les conditions les plus ingrates, trop souvent au milieu de critiques qui ont pour excuse d'ignorer le détail de ses difficultés, on ne peut que s'incliner devant le mérite et le patriotisme, aussi bien des grands chefs de service qui se donnent sans compter que de tous leurs collaborateurs attelés à un labeur si âpre.
Confiance et gratitude envers nos troupes. Ah! celles-là, on ne reconnaîtra jamais assez leurs mérites! Je ne saurais trop redire, bien que je l'aie dit si souvent, ce qu'ont été pour elles ces quatre années sur ces fronts obscurs et si sévères, subissant toutes les intempéries, répondant à des agressions continuelles, formant un mur inviolé contre tout ce qui menaçait les intérêts acquis, et ne connaissant ni les relèves, ni les réceptions triomphales, ni le réconfort et les encouragements que tant de mains amies prodiguaient à leurs camarades de France. Et, pour elles, la séance continue, pesant plus que jamais sur les mêmes épaules, alors qu'en Europe leurs cama rades récoltent aujourd'hui les fruits de la victoire dans l'ivresse du triomphe. Bientôt, heureusement, d'autres reviendront soulager leur lourde tâche, mais je ne doute pas que la Patrie ne rende de plus en plus justice à l'effort surhumain grâce auquel ce dernier-né de nos domaines coloniaux a été conservé à la France.
Confiance et gratitude envers la population civile française qui nous a tous si largement aidés en marchant pendant ces quatre années avec nous, derrière moi, consciente du grand devoir patriotique qu'elle avait à remplir et des obligations que lui imposait le régime de faveur dont le Gouvernement lui a permis de bénéficier. Cette confiance réciproque, je lui demande avec une foi entière de nous la continuer. La pacification du pays, qui est la condition capitale de la sécurité, est considérablement allégée par la paix de l'arrière et par le sentiment de l'unanimité de l'effort. Qu'elle soit assurée que ses intérêts sont notre premier souci, la raison d'être de notre labeur, et il suffirait qu'elle puisse vivre un jour de notre vie administrative pour constater la lutte acharnée que nous menons envers et contre tous pour y satisfaire, et pour assurer à son propre labeur toutes les facilités et tous les fruits sur lesquels, mes chers compatriotes, vous êtes en droit de compter.
Confiance et gratitude, enfin, envers le peuple marocain. Ah ! n'oublions jamais le spectacle qu'il a donné et le loyal concours qu'il nous a apporté. Nous venions à peine de nous établir sur ce sol frémissant quand la guerre a éclaté. Bien des appréhensions étaient permises. Je me rappellerai toujours les premières hésitations avec lesquelles le Gouvernement accueillit mon offre de tirailleurs marocains, ne sachant jusqu'à quel point il pouvait déjà compter sur eux. Ce qu'ils ont été aux fronts d'Europe, je ne vous le redirai pas, l'histoire en témoigne déjà et, ici même, leur fidélité a été le premier élément et la garantie de notre force et de votre sécurité. Et leurs travailleurs se sont signalés entre tous dans nos industries de guerre. Et leurs laboureurs ont ici répondu à notre appel pour contribuer avec vous à l'intensification des cultures dont la métropole a si largement bénéficié. Cette attitude au cours de la guerre, nous ne saurions jamais l'oublier, et nous devons la reconnaître par le respect que nous apporterons à leurs personnes, à leurs statuts, à leurs coutumes, à tout ce qui fait l'âme d'un peuple, car il serait vraiment trop paradoxal qu'à l'heure ou les droits des peuples ont été un des plus nobles stimulants de notre lutte et une des conditions de notre victoire, nous les méconnaissions pour ceux-là seuls chez qui nous avons planté notre drapeau et dont nous devons, au contraire, faire un exemple vivant du régime de justice et de libre association que nous entendons faire régner sur le monde. Et maintenant, après avoir fait avec vous le tour des principaux points que ma situation de chef de Gouvernement me fait un devoir d'envisager au seuil de cette année, permettez-moi, écartant pour un instant les soucis de ma charge, de me réjouir cordialement et simplement au milieu de vous de ce glorieux ler janvier, mêlant nos cœurs et nos pensées, en rendant un hommage poignant aux deuils qui ont frappé tous les foyers sans distinction, aux morts, à nos morts glorieux, et levons nos verres à la France, à la France éternelle et triomphante. 2ème THÈME : La politique coloniale de Lyautey Les origines et l’évolution de la “pensée coloniale”” de Lyautey doivent tenir compte de ses diverses expériences depuis son premier séjour en Algérie du 1er février 1878 jusqu’à la fin de ses fonctions de Commissaire Résident Général de la République Française au Maroc, en octobre 1925. Lyautey n’employait la force qu’en dernier recours, c’est à dire lorsque la dissuasion, selon sa formule connue : « Montrer sa force pour en éviter l'emploi » et les tentatives de négociation avaient échoué. Cependant, il précisait : « Il est évident qu’il y a nombre de cas où l’expédition militaire s’impose, sous sa forme classique et traditionnelle : quand il faut atteindre avant tout un objectif précis, ruiner d’un coup la puissance matérielle et morale de l’adversaire, atteindre et frapper certains chefs irréductibles... et quand l’expédition militaire s’impose, c’est avec toutes les ressources de la tactique et de la science modernes, après la plus minutieuse préparation, avec la dernière vigueur, qu’elle doit être menée. C’est la meilleure manière d’économiser le temps, les hommes, l’argent. Il est essentiel qu’il n’y ait sur ce point aucun malentendu. » Il énonçait aussi ce principe : « On ne s”empare pas d’un “repaire” comme d’une “position”, lorsqu’il doit devenir immédiatement un centre d’attraction, un marché, e.t que l’adversaire d’aujourd’hui doit y être le collaborateur de demain. » Et s'adressant aux sceptiques : « Croit-on qu’il ne faille pas plus d’autorité, de sang-froid, de jugement, de fermeté d’âme, pour maintenir dans la soumission, sans tirer un coup de fusil, une population hostile et frémissante, que pour la réduire à coups de canon une fois soulevée ? » Loin des doctrines d'école, imprégné des principes mis en oeuvre par Gallieni, dont il fut l'adjoint et fort de son expérience, Lyautey pouvait écrire de l'action coloniale : « Notre action n’ a rien de commun avec les guerres entre nations.
Elle est une organisation qui marche, elle est constructive, celles-ci sont destructrices; elle crée de la vie et non des ruines. La pacification faite de prudence et d’adaptations doit progresser comme une tache d’huile, souple mélange de politique, d’amitié et de force, de raids militaires se muant en essor économique.» Le Docteur Jules Colombani qui fut Directeur de la Santé Publique au Maroc de 1920 à 1934, note fort justement que : « L'œuvre des Médecins, premiers pionniers de notre assistance mobile, s'associe étroitement à celle des Officiers des Affaires Indigènes (AI) , un corps d’élite créé par le Maréchal Lyautey et vivant au contact permanent de la population. Cette collaboration de l'officier et du médecin dans l'œuvre de pénétration pacifique a constitué un élément essentiel de la “méthode Lyautey” qui s’articule autour de quatre principes : 1 - Ne rien détruire, tout relever, tout restaurer :. 2 - Pratiquer vis-à-vis de la population marocaine une politique d'égards, 3 - La gagner à une coopération matérielle, intellectuelle et morale 4 - La faire collaborer progressivement à I'action politique et administrative de l'Etat protecteur. »
Et le Docteur Colombani traduit en ces termes l’hommage des médecins du Maroc à Lyautey : OUI, MONSIEUR LE MARECHAL, NOUS VOUS AVONS SERVI FIDELEMENT DANS CETTE COMMUNION DE CŒUR ET D'ESPRIT DONT VOTRE GENIE SUT IMPREGNER NOTRE MISSION DE GENEROSITE, D'ENTR'AIDE ET D'ENTENTE HUMAINES. MAIS Sl NOUS VOUS AVONS SUIVI SANS RESERVE, C'EST QUE VOUS AVEZ SU NOUS MONTRER QUE S'IL EST DES LIBERTES INDISPENSABLES, UNE HIERARCHIE EST AUSSI NECESSAIRE A LA VIE ET QU'IL Y A UNE JOIE A OBEIR, UNE GRANDEUR A SERVIR, TOUTES LES FOIS QUE LE CHEF QUI SERT LA CAUSE FRANÇAISE DONNE LUI-MEME L'EXEMPLE DES VERTUS D'UN NOBLE SERVITEUR DE LA PATRIE ET DE L'HUMANITE. Invité à présider la Session des Journées Médicales de Bruxelles de 1926, Lyautey exposa dans son discours du 26 juin 1926 sa conception du rôle du médecin colonial. Il concluait en des termes qui donnent un sens à l'action coloniale en général et à l'action du médecin en particulier : « Certes, I'expansion coloniale a ses rudesses. Elle n'est ni sans reproches, ni sans tares, mais si quelque chose l'ennoblit et la justifie, c'est l'action du médecin comprise comme une mission et un apostolat ».
Le Protectorat Au Maroc, comment Lyautey a-t-il mis en oeuvre, de 1912 à 1925, sa conception du protectorat qu'il définissait ainsi le 24 novembre 1919 :
« Le Maroc est un Etat autonome dont la France assure la protection, mais qui reste sous la souveraineté du Sultan, avec son statut propre. Une des premières conditions de mon rôle est d'assurer l'intégrite de ce régime et le respect de ce statut. » A consulter :- Lyautey et l’institution du Protectorat français au Maroc, 1912-1925 par Daniel Rivet 3ème THÈME : Lyautey et le "State building" Communication faite par le Général (c.r.) Patrick Garreau au colloque de la Saint-Cyrienne le 15 mars 2008sur le thème "En relisant Gallieni et Lyautey" LYAUTEY ET LE "STATE BUILDING" Le 10 Mai 1961, lors de l'accueil aux Invalides des cendres du Maréchal Lyautey, le Général de Gaulle termina ainsi sa brève allocution :"En vérité, le Maréchal Lyautey n'a pas fini de servir la France". Etait-ce une phrase de circonstance ou pouvons-nous réellement ré-examiner les actions de ce grand ancien (promotion 1873-1875) en y trouvant des éléments de référence pour les missions actuelles ? C'est ce que nous avons voulu faire pour la tâche la plus complexe : le "state building".
"State building" (ou "rebuilding"), de quoi s'agit-il, comme aurait dit Foch ? En fait nous faisons ici référence au concept anglo-saxon développé essentiellement depuis 2002-2003 pour traiter la question afghane et le problème irakien. Il s'agit à la fois d'éléments de doctrine et de principes d'action visant à construire un "état de droit" où tous les citoyens, sans considération de leur ethnie ou leur religion, aient les mêmes droits et devoirs dans un cadre économique et social favorable, où le pouvoir soit légitime parce qu'issu d'une expression démocratique (seul facteur de légitimité retenu), où les pouvoirs régaliens soient répartis entre un exécutif, un législatif et un judiciaire, où enfin le patriotisme ne puisse pas dériver vers le nationalisme et l'agressivité extérieure.
Les historiens français et marocains s'accordant à reconnaître que le Maréchal Lyautey est le créateur ou le refondateur d'un pays moderne, le royaume du Maroc, par son action de 1912 à 1925, il est intéressant de voir comment il procéda, même si l'on peut déjà nous dire qu'il eut à agir dans un monde très différent, qu'il n'eut pas à affronter de guerre subversive selon le modèle trotskiste-communiste et encore moins une nébuleuse terroriste comme Al Kaida. Une autre difficulté vient aussi de ce qu'il ne nous a pas laissé un beau manuel exposant sa doctrine de construction d'un état….et pour cause car Lyautey détestait les doctrinaires, les idéologues, les technocrates ; il se voulait homme d'action, prenant en compte avec méthode les réalités pour les transformer, éclairé par son éthique profondément chrétienne et sociale. C'est une première leçon qu'il nous donne, sa philosophie est celle du "réel", de l'"être". Il a cependant laissé une abondante correspondance, des rapports officiels et ses collaborateurs se sont exprimés sur ses principes et ses méthodes.
En ce qui concerne le "state building", nous examinerons rapidement sa méthode dans la construction des institutions politiques et de l'économie, dans la pacification et le renouveau d'une société ; et nous pourrons voir qu'il est assez loin des concepts anglo-saxons dans bien des domaines.
Construire des institutions politiques La première chose qui frappe dans l'action politique de Lyautey pour reconstruire l'état marocain, c'est qu'il ne fait pas table rase du système existant pour le remplacer par une administration directe française, efficace et honnête. Pourtant bien des éléments de la situation qu'il trouve en 1912 pourraient l'y inciter. La monarchie est instable, le sultan Moulay Hafid s'est soulevé contre son frère Abdul-Aziz, l'a battu en Août 1908 et a réussi à se faire proclamer sultan. Depuis il dilapide le trésor public pour ses plaisirs et ceux de ses partisans qui ont aidé à sa proclamation, il fait mettre à mort ses opposants, il envoie son armée collecter par force des impôts abusifs dans le territoire qu'il contrôle encore, il flatte à tour de rôle les factions et les fanatismes. Il n'est donc nullement un monarque pacificateur, un arbitre de querelles millénaires, un administrateur juste et sévère du bien public ; il n'apporte ni l'ordre ni la sécurité aux 4.500.000 Marocains d'alors dont la grande majorité vit, par suite, dans le "bled es-siba", c'est-à- dire en dissidence (par rapport au "bled el-Makhzen", très réduit, où l'autorité du sultan est encore reconnue). Les vieilles institutions marocaines, le "Makhzen" sont minées par l'incurie et la corruption. L'armée chérifienne elle même se soulève en Mai 1912 autant contre le sultan que contre la présence française. Lyautey ne va cependant pas mettre fin à la monarchie marocaine, il va pousser Moulay Hafid à abdiquer et partir en France mais en lui assurant une rente, et il va faire appel à son frère, Moulay Youssef, homme plus intelligent, pondéré et honnête, mais en le faisant désigner par les grands Oulémas du Maroc pour qu'il soit bien reconnu comme le véritable roi et chef religieux du pays. Il dissout l'armée mais recrée immédiatement des unités et en particulier la garde royale. C'est ainsi que le 13 Décembre 1912, trois mois après la belle victoire de Mangin, le sultan fait son entrée à Marrakech au milieu de 2.000 cavaliers, voit se rallier définitivement à lui les caïds Glaoui, M'Tougui, et Goundafi et acquiert ainsi un véritable prestige, tout ceci ayant été préparé par Lyautey qui est sur place depuis deux mois et commence ainsi à montrer aux Marocains de toutes races et coutumes qu'ils peuvent et doivent se rallier à leur souverain légitime. De la même manière, en 1916, c'est avec 20.000 cavaliers que le sultan arrivera à Fès. Lyautey dépossède le sultan de certains pouvoirs "régaliens" : la défense, les finances et la politique extérieure, car il n'est pas un naïf et sait qu'il a besoin de commander en ces domaines pour reconstruire l'état. Mais comme le dit Benoist-Méchin :"Il institue auprès de la Résidence un Conseil représentatif des intérêts français et marocains mais en même temps il renforce autour du sultan l'autorité du Makhzen. Il organise un contrôle français de l'administration chérifienne mais en même temps il affermit et régularise le pouvoir des caïds et des pachas." Pendant des années Lyautey imagine et applique tout un cérémonial mettant en valeur le souverain en particulier quand le Résident général de France lui demande audience ou se déplace pour le saluer sur son passage, et aussi en l'associant à la constitution des gouvernements successifs et à toutes les grandes décisions. C'est toujours le sultan qui promulgue les lois. Lyautey va ainsi rendre inopérants des discours et actions nationalistes ; lorsque Abd El Krim, outre son prestige et la crainte qu'il inspire, se sert de l'argument nationaliste et religieux pour rallier des tribus, sa parole a un certain écho au Maroc espagnol qui est une colonie, mais pratiquement pas dans le protectorat où le sultan continue d'incarner la nation et où la prière est dite en son nom, lui, le "commandeur des croyants".
Ces modes d'action pragmatiques, s'accommodant des institutions existantes tout en mesurant leurs imperfections, sont encore à méditer. Pour plusieurs experts de l'Afghanistan, les Américains auraient été bien inspirés en 2002 de remettre sur le trône le vieux roi Zaher Shah tout en identifiant le membre de sa famille le plus apte à lui succéder ; il y avait peut-être là une figure capable d'incarner l'unité du pays, un symbole difficile à dénoncer par les chefs de guerre comme par les Talibans. De même l'administration directe américaine de l'Irak par M. Paul Bremmer ne put atteindre aucun de ses objectifs parce qu'elle commença par balayer tout ce qui était encore organisé dans le pays. Les Américains l'ont bien reconnu par la suite. Construire l'économie Lyautey a une perception de l'économie et de son développement qui peut étonner encore et surtout servir de leçon car il n'avait pas une science innée de ces questions ; mais il sut à la fois s'entourer d'experts en imposant ses visions prospectives qui se révélèrent très clairvoyantes. En dix ans l'économie marocaine est ranimée et renouvelée, l'agriculture et l'élevage sont modifiés et se développent ; des cotonneries, huileries, minoteries sont crées. Lyautey encourage les fermes modèles des colons mais surtout il fait accorder des prêts sans intérêt aux petits cultivateurs et éleveurs marocains (on dirait aujourd'hui du "micro-crédit"), fait distribuer de bonnes semences, organiser des silos suffisants. Dès le début des années vingt la peur de la famine n'existe plus dans les zones pacifiées du Maroc et c'est une évidence pour les populations.
Parallèlement se développe l'exploitation des pêcheries, des forêts, des phosphates qui, à l'époque, seront le "pétrole" du Maroc en garantissant des revenus à l'état. D'importantes usines de chaux et ciment voient le jour. Les premiers barrages sont édifiés sur le cours des fleuves et l'électrification progresse.
Lyautey est aussi l'homme des routes, des voies ferrées, et surtout des ports. Entre deux opérations toutes les unités militaires construisent une piste, une route, un quai, en maugréant mais aussi convaincues par le chef qui vient les voir et leur dit "qu'un chantier vaut un bataillon". Nous savons par plusieurs témoignages que c'est lui qui a fait dresser les plans pour transformer le petit port de pêche d'Anfa en un grand port transatlantique pour Casablanca ; le projet était démesuré aux yeux de certains mais dès avant 1930 Casablanca était la capitale économique du Maroc.
En ce qui concerne les colons français, Lyautey veut accueillir les "grands colons" qui ont des capitaux, investissent au Maroc et y créent des emplois ; il n'est pas favorable à l'arrivée des "petits colons" et il sera attaqué sur le thème : "il aime les riches et pas les pauvres", mais ce n'est pas du tout cela. Lyautey a bien vu que dans nos colonies les petits colons accaparent naturellement des postes subalternes dans toutes les administrations et ceux de contremaîtres dans les grandes exploitations et les industries ; or ces postes Lyautey veut les confier le plus vite possible à des dizaines de milliers de Marocains qui y trouveront une première promotion sociale et verront qu'ils peuvent construire leur avenir et celui des leurs. Cette politique sera largement abandonnée après le départ de Lyautey, ce qui conduira aux frustrations prévues par le Maréchal.
Lyautey connaîtra aussi des échecs : il n'arrivera par exemple jamais à revitaliser les vieilles corporations marocaines de commerçants et artisans qui se sont complètement étiolées pendant la longue période où la circulation des biens était presque impossible.
Par cette action économique Lyautey veut, certes, permettre à la France de recueillir les dividendes de ses efforts et sacrifices humains, mais il ne crée pas une économie "de dépendance", il donne au Maroc les moyens de son propre développement. La population va très vite bénéficier de cette reconstruction de l'économie sur des bases saines et avec des budgets qui seront pratiquement toujours en équilibre.
En Afrique, au Moyen Orient, en Afghanistan, quelles sont les bases apparentes et occultes de l'économie ? Comment l'ONU, l'OTAN s'y prennent-elles ? Depuis 2002 l'économie de l'Afghanistan s'est refondée sur la culture du pavot et l'élaboration de l'héroïne dont ce pays est devenu depuis 2007 le premier producteur mondial ; est-ce cela relancer l'économie d'un pays ? Y a t'il un Lyautey dans l'OTAN ?
Pacifier Pacifier, Lyautey sait le faire par l'usage de la force militaire quand il a en face de lui des chefs qui n'accepteront jamais l'autorité du sultan comme El Hibba qui s'empare de Marrakech en Août 1912, ou comme Abd El Krim en 1925, et l'on sait que des petites batailles rangées eurent lieu comme celle de la colonne du Colonel Mangin (5.000 hommes) le 6 Septembre 1912 contre le chef de guerre d'El Hibba qui a 10.000 hommes et quatre canons Krupp. Au début des années trente encore la soumission de confédérations de tribus exige des opérations de plusieurs colonnes et de très durs combats (Bournazel est tué en 1933 dans une action importante).
Mais la véritable méthode "Lyautey" de pacification c'est celle de la "tache d'huile" dont le succès repose sur l'action des services de renseignement et de celui des "Affaires indigènes" à partir des "grands forts qui rayonnent" ou des "chapelets" de petits postes qui observent et renseignent. Il y a bien sûr des émissaires que le sultan et le Résident général envoient aux grands caïds insoumis, ceux qui peuvent ramener dans l'allégeance des populations et territoires importants. Mais le plus gros du travail de pacification est l'œuvre de ces "Affaires indigènes" que Lyautey a créé "à sa main". Les officiers de ce service doivent apprendre non seulement le dialecte arabe ou berbère des tribus qu'ils contrôlent, mais aussi leurs traditions, leur droit coutumier afin d'aider d'abord les chefs et anciens des tribus à exercer leur autorité avec justice et mesure selon les usages anciens. Ensuite ces officiers se renseignent sur les zones voisines encore en dissidence, laissent des membres de ces tribus venir se ravitailler, se faire soigner dans la zone pacifiée et ainsi voir que la soumission au sultan leur apportera bien des avantages ; puis viennent les contacts discrets avec les chefs rebelles qui, souvent, ont également besoin de garanties contre d'autres tribus insoumises, et parfois aussi ne peuvent se rallier sans livrer pour l'honneur un combat prouvant leur valeur. Alors les officiers des Affaires indigènes demandent la venue d'un "Groupe mobile" dont ils seront l'avant garde afin, après un combat plus ou moins bref, d'identifier et d'accueillir les émissaires pour les conduire auprès du Colonel ou Général présent. Ils veillent au cérémonial de soumission qui se termine souvent par la remise en fonction des chefs traditionnels avec près d'eux l'un des officiers français qui ont préparé l'action, car Lyautey le dit :"Le premier administrateur d'un territoire devrait être celui qui l'a conquis". Toutefois ce n'est pas aux Français que ces caïds se soumettent, mais à leur sultan qui les confirme dans leur rang. Là aussi il faut noter qu'encore aujourd'hui des spécialistes de l'Afrique, du Moyen Orient, de l'Asie pensent que les politiques et militaires occidentaux négligent trop ces rituels de "paix des braves", de ralliement sans humiliation de chefs locaux. Le Groupe mobile enfin ne se retirera pas sans avoir ouvert une nouvelle piste, édifié un fortin et un dispensaire où va s'installer un médecin, distribué des vivres et même parfois des armes, etc … et le processus va recommencer à partir de cette nouvelle zone pacifiée. Ainsi s'accomplit la phrase imagée de Lyautey :" Tous les officiers savent s'emparer d'un village à l'aube ; moi, je veux des officiers qui sachent s'emparer d'un village à l'aube et y ouvrir le marché à midi". Toutes les formes de coercition sont donc pesées au regard de cet objectif final de paix.
Ce processus demande du temps et du doigté, il fut cependant souvent conduit en moins de deux ans dans certaines zones, y compris pour le ralliement de tribus importantes, et la majorité de ces ralliements fut définitive malgré les menaces, attaques et représailles d'autres rebelles. L'un des plus beaux exemples de ce mode d'action est celui de la prise d'Ouezzan en Octobre 1920 ; c'est un cas délicat car cette ville contient l'un des sanctuaire les plus vénérés du Maroc, le mausolée de Moulay Taïeb, fondateur de la ville, gardé par une sorte de clergé héréditaire, les "chorfas" qui assurent que leurs familles descendent d'une fille de Mahomet ; l'action militaire pourrait réveiller un fanatisme religieux et Lyautey mesure parfaitement l'importance de ces facteurs. Il commence donc par de longs contacts discrets avec cette population et ce clergé et de quelques petites opérations contre les tribus montagnardes qui pressurent et terrorisent les habitants d'Ouezzan. Quand Lyautey estime que les choses sont mûres, il lance le Général Poeymirau avec deux colonnes qui ne rencontrent que quelques résistances isolées et se voient ouvrir les portes d'Ouezzan le 2 Octobre ; Lyautey y arrive le 7 et y organise très vite la venue en grande pompe du sultan qui vient faire ses dévotions au mausolée, ce que ses aïeux n'avaient pas pu faire depuis des générations, et recueille l'allégeance de toute la population et des chorfas.. Ce ralliement fut un événement ressenti dans tout le Maroc et porté au crédit du sultan.
En fait Lyautey, pourrait-on dire, avait déjà conçu le processus tactique que les anglo-saxons disent des "three blocks" (combat de haute intensité, puis "contrôle de zone" et enfin administration civilo-militaire ) et auquel s'essaient maintenant certaines unités occidentales en Irak et en Afghanistan mais avec le handicap d'un pouvoir central qui n'inspire guère confiance. En outre Lyautey avait compris que les modes d'action dans les deux premiers "blocks" doivent être déterminés en fonction du troisième.
Il faut signaler aussi que ce contrôle qui s'étend progressivement sur un territoire de près de 500.000 km2 se fait avec des moyens militaires peu importants : unités marocaines et services inclus, Lyautey aura rarement plus de 80.000 hommes à sa disposition (65.000 en 1925) et ceci aide à comprendre l'efficacité des modes de pacification du Maréchal. En outre, avec Lyautey, il n'y a pas de "bataille de Faludjah", d'écrasement de l'adversaire d'une manière qui empêche son ralliement ultérieur. Nous savons qu'il aurait certainement déployé un plan de campagne contre Abd El Krim très différent de celui que conduisit le Maréchal Pétain avec près de 300.000 hommes ; la guerre du Rif fut gagnée, Abd El Krim dut se rendre (et fut envoyé à la Réunion) mais les Rifains subirent trop de pertes et de destructions inutiles ; ils ne furent pas "pacifiés" comme l'aurait voulu Lyautey qui, après avoir montré sa force, aurait peut-être fait d'Abd El Krim rallié un grand pacha du Rif comme le Glaoui de Marrakech.
Lyautey est ainsi un véritable stratège qui voit la paix à obtenir au delà de la victoire tactique.
Construire la société Par son intelligence mais aussi par son travail d'étude incessant Lyautey pourra dire sans présomption :"J'ai compris la Chine, l'Orient, l'Islam, les civilisations différentes et non inférieures". Il ne va donc pas "s'embarquer" à proposer la démocratie occidentale à la société marocaine. Il appartient pourtant, il faut le rappeler, au courant royaliste qui avec Albert de MUN prône une monarchie constitutionnelle dont les institutions seraient plus démocratiques et sociales que celles de la Troisième République ; mais il sait bien qu'au Maroc ce n'est pas ainsi qu'il faut commencer. Là il va se proclamer "démophile", et pour lui l'amour réel du peuple doit s'exprimer très concrètement car il faut d'abord offrir à tous une société plus sûre et plus juste. Avec Lyautey : la sécurité des personnes et des biens est la première chose à garantir, tous doivent être à l'abri des rapines des tribus voisines comme de celles des bandes armées d'un pouvoir tyrannique ; la liberté et la sécurité de circulation des gens et des marchandises doivent être assurées ; la valeur de la monnaie est stabilisée ; l'impôt doit être payé, mais un impôt calculé équitablement et perçu régulièrement, là aussi sans abus de pouvoir de percepteurs corrompus ; pour la "justice de paix" et nombre délits de droit commun, la justice "caïdale" est maintenue car c'est celle qui convient à la population, et progressivement, en commençant dans les villes, la justice du sultan se réimplante pour les délits graves et les crimes de sang avec un droit qui va être une adaptation du droit français ; un système de santé se met en place avec un maillage rural qui le rend accessible à tous (on connaît la lettre de Lyautey à Galliéni à Madagascar : "Donnez-moi quatre médecins et je vous renvoie deux bataillons".); des hôpitaux sont créés dans toutes les villes ; le système éducatif aussi se reconstitue avec la création des collèges-lycées franco-musulmans et des écoles professionnelles dont sortiront les premières élites marocaines dès les années vingt, mais aussi le maintien des vieux collèges musulmans avec leur identité, sans oublier la création d'une école d'officiers marocains ; les aspects religieux de cette société sont respectés, y compris dans leurs nombreux particularismes, tous les civils et militaires français et même les missionnaires qui arrivent au Maroc, reçoivent des consignes très fermes en ce sens.
Tout cela, ont dit certains, est du "despotisme éclairé" et la population n'y est guère associée ; c'est vrai mais cette population y adhère car la société y trouve d'abord un cadre de vie traditionnelle restauré, puis des éléments d'évolution sans rupture violente. En fait Lyautey voulait introduire progressivement des éléments de démocratie à partir du niveau municipal et avant son départ il y aura à Fès une municipalité élue par un collège électoral. Enfin le sens social du Maréchal éclaire et sert de référence à tous les acteurs français. Les Marocains vont jouer progressivement un rôle de plus en plus important dans l'administration et les mouvements de leur société.
Là aussi Lyautey est novateur, il n'est plus le conquérant qu'il a été, sa doctrine sociale est devenue plus haute et plus morale, c'est celle du droit des peuples.
Conclusion Dans son livre intéressant, traduit et publié en France en 2007, "L'utilité de la force" le Général sir Rupert SMITH expose que la révolution militaire de ce tournant de siècles est celle d'une sortie de la "guerre industrielle" et d'une entrée dans la guerre "pour et au sein des populations" . A la question: que faut-il faire ? il répond : " Les confrontations et conflits que nous connaissons doivent être compris comme des affaires politiques et militaires entremêlées qui ne peuvent être résolues que par cette façon de les appréhender" ; et plus loin : "Nos adversaires proviennent de la population et vivent parmi elle, et c'est là que le combat se mènera. Mais il devra être gagné en atteignant l'objectif final qui est d'obtenir l'adhésion de la population". Notre armée a déjà connu ces problèmes et il est permis de dire que Lyautey allait plus loin que le Général Smith dans l'analyse et l'action ; en effet dans sa mise en œuvre d'une action complète de "state building" il a compris qu'il fallait agir simultanément dans le domaine politique et militaire bien sûr, mais aussi économique et social pour la population ; il a bien vu également que les résultats obtenus dans chaque domaine rejaillissaient dans les autres. Son succès indiscutable doit nous inciter à ne pas l'oublier, nous pouvons vraiment dire que sa conception du "protectorat" était plus précise, complète et raisonnée que ce que nous lisons aujourd'hui sur le "state building".
Aujourd'hui où l'on s'interroge sur ce que peuvent être les modes de "sortie de crise", sur le sens du mot "victoire" qui est peut-être seulement le retour à certains équilibres, sur le "choc des civilisations", nous pouvons certainement relire et étudier Lyautey en prenant conscience de sa dimension de chef et de sa stature d'homme d'état car il maîtrise cette science difficile qui est aussi un art : la prospective ; chez Lyautey la décision du moment, même dans l'urgence, est toujours éclairée par la vision du but final à quinze, vingt ans ou plus. En ce qui concerne le Maroc il sait très bien dès 1912-1913 où placer les intérêts supérieurs de la France, intérêts qu'il voit bien au delà de la colonisation. C'est ainsi qu'à l'issue d'une réunion avec les plus hauts responsables français du protectorat le 14 Avril 1925, il écrit : "Il est à prévoir, et je le crois comme une vérité historique, que, dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la Métropole. Il faut qu'à ce moment-là – et ce doit être le suprême but de notre politique – cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des populations continuent à se tourner avec affection vers la France. Ils ne faut pas que les peuples africains se retournent contre elle."
Lyautey eut aussi une vision encore plus vaste des relations que pourrait établir la France avec l'ensemble des peuples du Sud de la Méditerranée occidentale comme orientale ; il l'expliqua notamment à Raymond Poincaré dans une lettre du 22 Janvier 1922. Constatant qu'à la fin de la guerre l'Allemagne est écartée de ce monde musulman et que l'Angleterre s'est attiré l'animosité de tous, Lyautey explique que, de Gibraltar au Bosphore (il avait eu des contacts avec Mustapha Kémal), la France pourrait proposer son aide au développement politique et économique et servir de guide à ces pays musulmans dans leur ascension vers l'indépendance non seulement à Rabat, Alger et Tunis mais aussi au Caire, à Beyrouth, à Damas. La gloire de la France serait justement de ne pas se présenter en maître mais de reproduire ce qui est en cours au Maroc. Peut-être cette lettre a t'elle été montrée au Président Sarkozy à propos de son projet d'union méditerranéenne ?
Que dire de plus, sinon espérer que les rédacteurs de notre "Livre blanc" aient un peu de la même vision prospective !
4ème THÈME : Lyautey, homme de managementLe capitaine Lyautey qui a beaucoup lu, observé, réfléchi expose dans un article retentissant, publié dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1891, sa conception du “rôle social de l’officier” à l’intention de ses pairs, mais,, en fait, il s’adresse aussi à tous ceux qui assument des responsabilités humaines. Il livre des pistes de réflexion toujours actuelles A chacun d’adapter les principes de base énoncés, qui sont ceux du management, en fonction des hommes et des circonstances pour viser au meilleur style de commandement pour les militaires, style de management ou style d’enseignement pour les autres : question de vocabulaire certes, mais question d’humanisme avant tout. Il est intéressant d’étudier comment Lyautey les a mis en oeuvre. Le texte du “Rôle social der l’officier” a été maintes fois réédité (voir notre rubrique : Les écrits de Lyautey”) “Le chef en action”, c’est le titre d’un ouvrage de Guillaume de Tarde. La méthode de travail de Lyautey, le cercle rapproché appelé l'équipe Quelles sont ses relations et les réseaux d’influence qu'il utilise ? 5ème THÈME : Lyautey, homme de communicationSoucieux de son image, il se préoccupait aussi de faire valoir ce qui pouvait servir au prestige de la France dans l’optique du “bien faire et le faire savoir” 6ème THÈME : Lyautey, artiste et protecteur des arts 61 - Lyautey s'exprime sur ce sujet
Le 10 décembre 1926, le Maréchal Lyautey présidait une conférence de Mr. Jean Gallotti, inspecteur des Beaux Arts au Maroc « Comment on sauve l'art d'un pays » En conclusion, Lyautey rappela ce qui avait guidé son action au Maroc dans les domaines de l’art et de l’urbanisme.
Extrait concernant la sauvegarde et la renaissance de l’art marocain (in "Paroles d'action" de Lyautey - 1927) « La première fois que j'avais vu Rabat, c'était, cinq ans avant d'y venir comme Résident Général, en 1907, en ambassade auprès du sultan Moulay Abd el-Aziz. J'étais resté sous l'impression du charme et de la poésie de cette ville incomparable. Aussi, quand j'y revins en 1912 comme Résident Général de France, me réjouissais-je, parmi les lourdes préoccupations de l'heure, de ce que mes yeux allaient retrouver dès que mon cheval en aurait franchi la porte. Or, ce que je vis, au lieu du bel horizon de mer dont rien ne brisait la vue au-delà du grand cimetière, ce furent, arrivées déjà à mi-hauteur, deux hideuses constructions. C'étaient deux casernes, dont la nécessité s'imposait, certes, mais qu'on aurait pu et dû mettre partout ailleurs qu'en pleine ville indigène, dans ce site merveilleux. Et c'étaient vraiment deux casernes classiques du type le plus affreusement réglementaire. Mon premier mot fut pour en interdire la continuation (....) » .
Choix d’un directeur des Beaux-Arts « Le lendemain je partais pour Fez, ayant en tête, vous le comprendrez, beaucoup d'autres préoccupations que ces casernes, quand, le surlendemain, le hasard me fit rencontrer à mon bivouac un groupe de touristes qui rentraient en France. Je les invitai à partager mon déjeuner sommaire. Or, I'un d'eux était Mr Tranchant de Lunel, ancien élève de l'École des Beaux-Arts, qui avait voyagé en Egypte, en Orient et en Extrême-Orient. Il me parla des beautés de ces pays, que je connaissais presque tous, avec autant de compétence que de goût, puis m'apprit combien le Maroc renfermait encore de trésors d'art et me dit ses appréhensions pour leur sauvegarde.
 Une aquarelle de Tranchant de Lunel Partageant ses craintes, je le mis, bien entendu, au courant de ce que je venais de voir à Rabat. Il prit un crayon et, tout en reconnaissant qu'on ne pouvait pas démolir ces malheureuses casernes qu'il avait vues au passage, il me faisait un croquis montrant comment on pourrait peut-être les « habiller » à l'arabe et les rendre supportables. Ma réponse fut que je le priais de ne pas rentrer en France, que je le prenais dès maintenant comme directeur provisoire des Beaux-Arts et qu'il allait se mettre à l'oeuvre à Rabat dès le lendemain. Et il fut pour moi, dans toute cette période de début, pour la sauvegarde des beautés artistiques du Maroc, pour l'adaptation au style du pays des bâtiments administratifs qu'il fallait cependant bien édifier, un auxiliaire inappréciable (....). »
Sauver l’artisanat d’art marocain « A notre arrivée au Maroc, I'artisanat d'art était certes bien malade, faute d'emploi pendant ces dernières années d'anarchie et de misère. Mais il vivait encore, il s'agissait simplement de le sauver sans délai. Certes, il n'y avait pas de temps à perdre. Je prends, si vous le permettez, I'exemple de la reliure, ce bel art marocain traditionnel qui a maintenant sa place faite à Paris où vous l'admirez et l'achetez sous la forme de buvards, de bloc-notes, d'écrins. Eh bien, il ne restait plus à mon arrivée à Fez que deux relieurs, vieux, seuls détenteurs de la vieille tradition, et encore, faute de clients, I'un faisait-il des savates et l'autre je ne sais plus quoi, pour subsister. Je les fis rechercher, puis soigner comme on fait d'un objet précieux. L'un est mort depuis, mais l'autre vit encore et tous deux ont formé des élèves; la tradition s'est maintenue intacte, s'est épanouie dans une richesse et une variété de productions qu'on apprécie chaque jour davantage. Il en fut à peu près de même pour les enlumineurs et pour toutes les autres branches de cet art hispano-mauresque si riche et si varié (....). Il a fallu nos admirations, celles des artistes qui sont venus se grouper autour de moi, s'extasiant devant les moindres détails de leurs maisons, recueillant religieusement les fragments de mosaïques et de boiseries, devant lesquels les mercantis de passage étaient restés indifférents ou méprisants, pour leur rendre le sentiment que leur art était non seulement un art superbe qu'il fallait sauver à tout prix, mais aussi, pour ces gens très pratiques, une source indéfinie de bonnes affaires. Nous leur avons très réellement rendu le goût et la fierté de leur art traditionnel et nous les y avons intéressés (....) ».
Renaissance de l'art marocain « Quand j'arrivai pour la première fois à Marrakech, on me conduisit à la Bahia, le vaste et beau palais. Je vis ces jardins abandonnés, ces bassins et ces fontaines d'où l'eau fuyait, et ces nobles ordonnances, les portiques des grands patios, les petites cours intérieures exquises où les vasques étaient vides et les jets d'eau endormis, les appartements aux riches plafonds rappelant ceux de nos plus beaux châteaux de la Loire, une ornementation évoquant l'Alhambra, et tout cela à l'abandon, fissuré, s'effritant, donnant l'impression de choses très anciennes, d'un art raffiné et disparu. Or, j'appris que ce palais, construit par Ba Ahmed, le tout-puissant ministre de la minorité d'Abd el Aziz, datait de vingt-cinq ans à peine, que depuis sa mort il était abandonné. On s'apprêtait à le vendre, je ne sais à qui, pour être vraisemblablement dépecé. Par bonheur, grâce à nos collaborateurs techniques, aussi consciencieux qu'avisés, on put remettre la main sur les titres établissant qu'il appartenait à l'État Ce fut le cas, d'ailleurs, pour nombre d'édifices, de domaines même, dont, profitant de l'anarchie, du désordre des archives, de l'insouciance et de la complaisance intéressées des fonctionnaires d'un Maghzen croulant, les détenteurs s'apprêtaient à battre monnaie, et qui faillirent passer à des spéculateurs le plus souvent étrangers. C'est ainsi que, à Fez, les palais de Bou-Jeloud et du Batha furent à deux doigts de devenir une hôtellerie allemande. Grâce au ciel, cette recherche de titres nous donna le moyen de conjurer le désastre, mais il n'y eut pas un jour à perdre.(....).Bref, pour ce qui est de la Bahia, nous assurâmes son salut définitif en l'affectant à la résidence générale pour ses séjours à Marrakech. Je m'y installai et les réparations commencèrent (....). C'est de cette période de début que date ce qu'il est vraiment permis d'appeler la Restauration, oserai-je dire la Renaissance de l'art marocain. D'une part, le souci de la sauvegarde la plus attentive, de l'autre, la préoccupation d'adapter cet art, sans trop de dommage, à notre vie, à nos besoins. Il y eut certes des erreurs et des fautes. Des visiteurs éclairés ne nous ont pas ménagé les critiques sur des fautes de goût. Je ne le méconnais certes pas, et j'en prends quelques-unes, que je pourrais citer, à mon compte. Mais, oserai-je dire, c'était inévitable, et je crois que dans l'en semble on veut bien reconnaître que nous n'avons pas trop mal réussi (....) » . 62 - La vie des arts au temps du Protectorat par le Colonel (er) Pierre GEOFFROY Président de la Fondation Lyautey Bien des aspects de la personnalité et de l’oeuvre de Lyautey nous sont familiers. Ils ont été abordés et traités différemment par des personnages de son entourage, des écrivains et des historiens dans de nombreuses publications. Par contre, on ne connait pas assez l’Urbaniste, le Défenseur du patrimoine, l’Homme de goût, le Décorateur avec son côté “tapissier” comme le disait le Résident Général Lyautey, Artiste lui-même et Protecteur des art et des artistes.  Croquis exécuté par Lyautey en 1896 Aucun des biographes de Lyautey, Résident Général de France à Rabat entre 1912 et 1925, n'a mentionné, comme il le mérite, son rôle de mécène. Avec l'installation du Protectorat au Maroc viendra le temps des officiers des Affaires indigènes (Paul Odinot) et des fonctionnaires (les enseignants, Maurice Le Glay) et avec eux d'une littérature moins pressée, d'une connaissance plus approfondie, plus ou moins appuyée par l'administration coloniale et ses institutions. Viendra également la mode de Tanger, puis de Marrakech, où choisiront de se fixer quantité d'artistes et d'écrivains étrangers Attaché à l'élégance de sa mise comme au raffinement de son décor quotidien, Lyautey, par inclination personnelle autant que par sens politique, accorde à la « vie des arts », au sens large, une place de choix. Le Résident Général s'emploie à donner du Maroc l'image d'un pays neuf ,« vaste laboratoire de la vie moderne », propre à régénérer une France métropolitaine prisonnière de sa routine et confinée, jusque dans sa manière d'administrer ses colonies, dans de vieilles habitudes. Lyautey souhaite communiquer largement ses idées en matière d'administration et, pour cela, il fait appel, comme “propagandistes”, à des écrivains ou des cinéastes en vue. Dès 1914, c'est lui qui incite le fonctionnaire Joseph Vattier (Ames mogbrébines, 1925 ), ou la jeune Aline de Lens (“Derrière les vieux murs en ruine”, 1922 ) à écrire sur le pays où elle réside. C’est lui aussi qui arrache les frères Tharaud à la boue des tranchées pour les inviter à séjourner, à plusieurs reprises, dans les villes impériales et y composer leur trilogie marocaine. C'est encore par son intermédiaire qu'Edith Wharton (“In Morocco”, l9l9 ) le poète Alfred Droin ou le romancier Claude Farrère (“Les Hommes nouveaux”, 1922 ) entreprirent le voyage du Maroc. Comme il se doit, les oeuvres inspirées par ces séjours sont régulièrement dédiées au Résident, «en hommage d'admiration» (Tharaud), lorsqu'elles ne contiennent pas des chapitres entiers sur “L'action du général au Maroc “ (Wharton) ou une préface de lui (J. Vattier, D. Abbatucci). Il est proche des artistes, désormais de plus en plus nombreux, qui y séjournent alors, comme l'indique aujourd'hui la collection d'œuvres rassemblées dans son château de Thorey Lyautey : croquis de l'hurnoriste Henri Avelot., paysages de Tranchant de Lunel chargé de la direction des Beaux-Arts au début du protectorat ou de l'architecte Albert Laprade, kasbahs de Majorelle, peinture de Boutet de Monvel ..... Parmi eux, certains assurent la "couverture" iconographique de la présence française au Maroc. Tel est le cas de Charles-Jules Duvent (1867-1940) dont deux grandes toiles sont, depuis 1985, venues enrichir les collections du château du Maréchal Lyautey à Thorey-Lyautey, ouvert au public.
Dans différentes commandes de l'État, à la faveur de plusieurs séjours entre 1913 et I939, Duvent a commémoré des épisodes militaires, parmi lesquels “L’Entrée du général Lyautey à Marrakech “ou L'Entrée du généra1 Lyautey à Taza “. S'il est bien éloigné de l'esprit de celui de Duvent qui, à tous points de vue, est un peu - en des proportions plus modestes - l'Horace Vernet du protectorat, l'œuvre marocaine de Jacques Majorelle ne peut être dissociée du contexte qui l'a vu naître. Dès l'arrivée du Nancéien à Casablanca en 1917, le Résident Général lui indique les grandes lignes de son action et l'artiste de conclure « la question des Beaux-Arts entre les mains de Tranchant de Lunel me paraît très heureusement dirigée » (lettre à Abel Cournault). L'attitude adoptée par Lyautey, à laquelle participera le peintre de l'Atlas, est d'abord guidée par la conservation d'un patrimoine en perdition. A cette politique de sauvegarde est associée la définition d'une image, celle d'un « pays nouveau récemment ouvert aux imaginations » dont Gustave Rouger, dans un numéro spécial de L'Art et les Artistes, préfacé par Lyautey, énonce les grandes lignes. Certes, le territoire "protégé" continue alors d'appartenir à l"'Orient" traditionnel, comme le souligne la plume des écrivains Jérôme et Jean Tharaud, et ]es scènes pittoresques semblent éternelles. « L'attirail du cortège est exactement le même que celui que vit Delacroix quand il vint au Maroc, en 1832 », note un témoin lors des adieux de Lyautey au Sultan en I925. Mais, sous l'effet d'investigations plus poussées, le Maroc devient riche d'une personnalité singulière dont on encourage l'exploitation pour « chasser les images toutes faites qu'ont emmagasinées des années de littérature » Cette affirmation reflète l'esprit des initiatives contemporaines dans le domaine de l'architecture et de l’urbanisme. Si certains témoignages le montrent spontanément moins enthousiaste, Lyautey défend dans ses positions publiques les constructions modernes qui refusent « I'hispano-mauresque » et le « pseudo-marocain ». « Il y a un point, notamment, dont nous nous faisons quelque honneur. C'est de nous être attachés à l'une des meilleures caractéristiques de la construction arabe, la sobriété exté rieure ». Cette orientation est confirmée par Jules Borély qui dirige le service des Beaux-Arts à partir de I925: « L'architecture d'aujourd'hui qui s'impose par la noblesse de ses verticales et de ses horizontales semble être tout à fait chez elle en Afrique du Nord. Les maisons cubiques, d'un aspect sobre et élégant, ont aujourd'hui remplacé les édifices inspirés des motifs hispano-mauresques.» Majorelle, dans son itinéraire singulier, n'est pas insensible à la rencontre opportune du « présent français » et du « passé marocain ». Sources 1 - catalogue de “L’appel du Maroc”, exposition présentée de novembre 1999 à janvier 2000 à l’Institut du monde arabe pour “Le temps du Maroc 2- catalogue de l’exposition Jacques Majorelle présentée de décembre 1999 à janvier 2000 au Musée des Beaux-Arts de Nancy pour “Le temps du Maroc". 63 - Une lettre du Général Lyautey publiée dans le numéro spécial de la Revue "L’ART ET LES ARTISTES"
Rabat, le 5 Juillet 1917
Mon cher Directeur (1),
C’est avec autant de sympathie que de gratitude que j'apprends que vous avez l'intention de consacrer un numéro de notre chère “Revue” au Maroc artistique. Vous avez compris — et vous ferez comprendre à vos lecteurs — que l'effort d’art poursuivi au Maroc pendant la guerre même est loin d'être négligeable. Ce n'est pas le lieu de rappeler ici la contribution que le Maroc a apporté à la Métropole dans la lutte où elle combat autant pour la liberté du monde que pour la sienne propre en lui donnant ses héroïques tirailleurs, les unités les plus solides du corps d'occupation, des chefs qui comptent parmi les plus glorieux, et, aussi, les produits de son sol. Mais le Maroc, à demi insoumis encore, n'a pu soutenir impunément un tel effort qu'en usant de tous les moyens pour s'assurer la fidélité et l'affection des populations soumises. S’il y a réussi, c'est en maintenant la vie économique et la prospérité matérielle du peuple marocain, et c'est aussi en s'adressant à ce qu'il y a de plus noble dans l'âme de ce peuple fier et généreux, jaloux de ses traditions, de son histoire et de son art. Nos protégés ont mieux compris le génie de notre race en nous voyant nous attacher à la restauration de leurs monuments, à la sauvegarde de leurs trésors que l'incurie et l'anarchie avaient laissés ruiner et gaspiller. Nous sommes arrivés à temps pour ranimer un art qui agonisait mais vivait encore et pour provoquer ici une véritable “Renaissance” L'administration du Protectorat a trouvé un concours inappréciable dans une équipe d'artistes d'élite dont votre publication fait ressortir l'effort. Je suis heureux de leur témoigner ici toute ma gratitude. Mais ne trouvez-vous pas qu'une constatation consolante se dégage entre toutes ? Alors que, dans cette guerre, l’œuvre de nos ennemis se caractérise par la brutalité sauvage avec laquelle ils s'acharnent non seulement contre notre race mais contre nos monuments, contre tous les trésors d'art que les siècles nous avaient légués, ici, au contraire, la France poursuit son oeuvre de reconstruction et de beauté. Tout en y imposant par les armes, aux adversaires que l'Allemagne ne cesse de lui susciter, le respect de sa force, et en y maintenant intact le domaine acquis au prix de notre sang, elle y reste fidèle à sa mission civilisatrice, au culte de l'idéal, à tout ce qui a fait, au cours de sa glorieuse histoire, I'honneur de son génie.
------------ (1) Note du directeur de la Revue, Armand Dayot, Inspecteur Général des Beaux-Arts. Invité par la Direction de la Revue “l'Art et les Artistes” à lui faire l’honneur d'écrire quelques lignes d'introduction au numéro spécial sur le Maroc artistique, le Général Lyautey, dont l'énergie et la clairvoyance ont présidé avec tant d'éclat au développement si complexe de notre grande colonie africaine, a bien voulu se rendre à notre désir, très justifié, en nous adressant la belle lettre ci-dessus qu'accompagnait un billet dont nous nous permettons de détacher la phrase suivante : « Bien que je me sois fait une obligation, au courant de cette guerre, de ne pas écrire une ligne hors de celles que le service m'impose. je crois devoir devoir faire une exception en faveur de votre numéro “Le Maroc artistique”, parce que je le regarde comme un véritable geste de guerre ...... Oui, ce numéro est bien, en effet, un geste de guerre comme d’ailleurs tous les numéros spéciaux que l'Art et les Artistes a publiés et publiera jusqu'à la fin des hostilités. » ............ Et nous remercions bien vivement le Général Lyautey qui, nous le savons, a suivi avec une sympathique attention le libre développement de l'Art et les Artistes depuis ses débuts, d'avoir su caractériser dans cette vivante expression tous nos efforts de propagande patriotique dignes, croyons-nous, de l'esprit de notre race, efforts de propagande qui n'ont jamais été et qui ne seront jamais interrompus... jusqu'au retour à la civilisation, époque où l'Art et les Artistes saura retrouver sa forme première, et son poste de combat dans la défense et le développement de notre art national, sous tous ses aspects. 64 - Lyautey et la musique "Y a-t-il de l'art ? de la musique ? des âmes ? Où donc que je Ies entende ? Mais rien, c'est le silence du tombeau". Ainsi s’écrie sur un ton révélateur le jeune capitaine Hubert Lyautey dans une lettre écrite en 1882. Rentrant d’Algérie où il a été affecté pendant deux ans, il sert au 4ème Régiment de Chasseurs à Cheval à Bruyères où il s’ennuie mortellement.
On comprend ce manque d’environnement culturel. En effet, comme le note André Le Révérend dans son ouvrage “Lyautey écrivain”, Lyautey goûte profondément le chant sous toutes ses formes et apprécie autant la valeur des mélodies que la qualité des voix : chant religieux : grégorien, musulman ou khmer; chant profane : bel canto à Naples et à Venise, lieder de Schubert, mélodies de Lassen, Massenet, Paladille, Castillon, Widor, qu'il jouit d'entendre interprêtées pour lui seul à Tours en 1886 par le ténor Yvan Manuel .
Il connaît et apprécie infiniment l'Opéra : avant tout, Wagner (Lohengrin - Les Niebelungen), mais aussi Beethoven (Fidelio), Gounod (Faust), Rossini (Tancrède), Verdi (Aïda), Meyerbeer (Robert le Diable, Le Prophète. L'Africaine), mais fort peu Donizetti (Poliuto).
Il aime la musique de chambre et la musique symphonique, classique, romantique et moderne: Beethoven et Mozart surtout (sonates et symphonies), mais aussi Bach, Boccherini, Chopin; et parmi les contemporains son goût est très sûr; son journal de 1886 indique ses préférences : Chabrier (Espana, qui daté de 1883). Vincent d'lndy ("le chant de la cloche" 1886), Ch. M Widor, Castillon de Saint Victor, peu connu, mais qu'il "adore" et qui a contribué avec Saint-Saëns à restaurer en France la musique de chambre. De même, il a discerné le grand talent de Gabriel Pierné, à 19 ans.
Le témoignage du célèbre violoniste Jacques Thibaud est précieux : `'Quand il parlait", écrit-il de Lyautey, “ses mains longues et d'une finesse aristocratique intervenaient avec une intuition de la mesure et une notion du rythme qui me faisaient songer à la baguette d'un Chef d'orchestre (. . .). Mais quand je l'interrogeai sur ses goûts musicaux et ses préférences, il devint intarissable : "Beethoven est mon musicien préféré... Oui, sans doute, Mozart...... Mais voilà, vous comprenez, Mozart, c'est toute la musique à travers un homme, tandis que Beethoven, c'est un homme à travers la musique. Et il me faut à moi le contact de l'homme, il faut que je sente l'homme au bout de son effort ou de son inspiration" (J. Thibaud. "Sur quatre cordes". Revue des Deux Mondes 1er Avril 1942).
Son neveu, Pierre Lyautey affirmait qu’au piano il jouait par coeur les principaux thèmes de “Lohengrin” et des “Maîtres chanteurs” de Wagner.
Ce goût et cet amour de la musique amène cet humaniste toujours en quête d’harmonie dans son rôle de chef à écrire : « Il y a dans l'homme, comme dans une symphonie, un thème principal. Il ne suffit pas qu'un instrument le donne une fois en passant. Mais le thème passe des violons aux bois, des bois aux cuivres. Tout l'orchestre porte le thème, et le thème requiert tout l'orchestre pour développer sa plénitude d'émotion. Ainsi, l'homme doit-il occuper telle place, jouer de tel instrument qui est le sien, cependant que toutes ses autres activités mobilisées accompagnent le jeu principal ».
7ème THÈME : Lyautey écrivain et protecteur des lettres A consulter : LE REVEREND André, "Lyautey écrivain", Gap, Ophrys, 1976, 380 pages.
Voici, rédigée par André Le Révérend, l’introduction de son ouvrage : Introduction de "Lyautey écrivain" Lyautey est un personnage historique dont la célébrité repose essentiellement sur l'œuvre coloniale qu'il a réalisée dans toutes les régions de "I'Empire Français" où il a vécu, particulièrement au Tonkin de 1894 à 1897, à Madagascar de 1897 à 1902, dans le sud-Oranais de 1903 à 1906, à Oran de 1906 à 1910, au Maroc de 1912 à 1925, soit pendant près de trente ans. Sa personnalité brillante, ses conceptions originales et son activité créatrice ont suscité une abondante littérature biographique et critique, qui ne tarit pas avec les années. La plupart des ouvrages et des articles de revues ou de journaux, signés souvent de noms illustres, se sont attachés à analyser les aspects particuliers de son action dans les domaines les plus divers : militaire, politique, social, artistique, psychologique, religieux, moral, diplomatique. Parfois la valeur littéraire de ses ouvrages a fait l'objet d'études perspicaces, mais aucun livre n'a été, jusqu'à ce jour, exclusivement centré sur la fonction d'écrivain qu'a exercée Lyautey pendant soixante ans environ. Lyautey écrivain ? Il l'a prouvé en effet lui-même par le foisonnement d'écrits qu'il nous a légués. Correspondance, essais, discours, conférences, rapports, journal sont les formes diverses qu'a revêtues son activité littéraire de 1875 à 1934. Il a publié certains de ses écrits, depuis le fameux article de la Revue des Deux-Mondes sur "le Rôle Social de l'Officier" le 15 Mars 1891, jusqu'à ses "Lettres de Jeunesse" (Italie-Grèce - Danube-Italie: 1883-1893) en 1931, en passant par son "Rôle colonial de l'Armée" en 1900, ses "Lettres du Tonkin et de Madagascar en 1920, ses "Lettres de Rabat" en 1921, ses "Paroles d'action" en 1927; il a préparé l'édition posthume de ses "Lettres du Sud de Madagascar" (1935) et de ses "Lettres du Sud-Oranais" (1937). D'autres ouvrages ont paru depuis, révélant au public des aspects très divers de son œuvre, notamment ses "Notes Quotidiennes" (1875-1877), de la correspondance inédite ("Choix de lettres" : 1947 "Les plus belles lettres de Lyautey" : 1962), ses rapports et ses lettres officielles ("Lyautey l'Africain" : 1953-1957). Tous ces livres témoignent de l'importance que Lyautey attachait à l'écriture comme mode particulier d'expression. Quant à la qualité de cette œuvre, certains écrivains l'ont appréciée très tôt, comme Eugène-Melchior de Vogüé qui, en 1891, conseilla à- Brunetière de publier l'article sur le rôle social de l'officier dans la revue la plus cotée sur le plan littéraire à cette époque. Plus tard, des hommes aussi différents que les Tharaud, que Barthou, qu'André Maurois, qu'Emile Henriot ont célébré les dons authentiques d'écrivain de Lyautey. Mais ils ne connaissaient de ses écrits que les pages déjà publiées et parfois certains inédits. D'importantes lacunes subsistaient dans sa production littéraire qu'il était nécessaire de combler, si l'on voulait procéder à une étude exhaustive et restituer l'unité de l'existence, de la pensée et du langage, pour découvrir les clefs de la création littéraire chez Lyautey.
Après de longues et patientes recherches, et grâce à l'appui bienveillant, chaleureux, souvent enthousiaste de la famille et des amis du Maréchal, ou de leurs descendants, nous avons pu retrouver plusieurs centaines de textes inédits, et parfois les manuscrits eux-mêmes des écrits déjà publiés ; ainsi un double objectif était atteint: il était désormais possible de retracer la courbe continue de cette production littéraire et, en confrontant les manuscrits avec le texte définitif, de surprendre l'écrivain dans son travail de mise au point et même dans l'élaboration initiale, comme si, témoin invisible et indiscret, nous l'avions observé créant son œuvre. Dans une "Edition critique des "Lettres de Jeunesse", nous avons procédé en 1969 à cet examen attentif de textes particulièrement riches, tant sur le plan de la pensée que sur celui de l'écriture. Mais il fallait aller plus loin: recueillir tous les écrits dispersés dans des revues ou des ouvrages parfois peu connus, les introduire dans la longue liste des textes publiés, y insérer les inédits, bref, reconstituer, dans la mesure du possible, la totalité de l'œuvre pour posséder une base de travail solide. Sans dissimuler combien cette tâche demeure imparfaite, puisque la correspondance de Lyautey atteint des proportions prodigieuses (on a cité le chiffre de 600 correspondants), nous avons désormais rassemblé tous les éléments épars d'un organisme qu'il s'agissait de ranimer et d'éclairer pour en saisir le caractère original et en mesurer la valeur.  Lyautey, académicien Car la question se pose, éternelle : qu'est-ce qu'un écrivain ? et une deuxième s'y ajoute : Lyautey, essentiellement épistolier, avait-il conscience de faire œuvre littéraire ? Sur le premier point, notre dessein est d'abord d'éviter de refaire, après tant d'autres, une biographie. Nous nous appuierons sur les écrits de Lyautey et sur eux seuls, sans négliger les témoignages qui pourront mettre en lumière tel ou tel point obscur. Notre méthode consistera à dégager les rapports entre la pensée, la mentalité et le langage de Lyautey, afin de comprendre et de définir sa manière propre de concevoir le monde et de se situer en face de lui par l'écriture, car telle nous apparaît la fonction de l'écrivain. La connaissance de l'homme naîtra de la découverte de l'œuvre écrite, mais le but essentiel reste de connaitre celle-ci dans sa singularité et dans ce qu'elle comporte d'éternel. Pour en retracer l'évolution et la continuité, pour en faire jaillir l'unité profonde, nous prendrons pour cadre de cette étude celui de l'existence : Lyautey a pris la plume adolescent et ne l'a laissé tomber qu'aux portes de la mort. Chaque écrit est une fraction vivante de lui-même et ne se comprend que par rapport à ce qui précède et à ce qui suit ; à chaque page on discerne ce qui s'efface, ce qui demeure et ce qui surgit. Toute œuvre se crée à chaque instant et le dynamisme de celle-ci-est à la mesure du tempérament de Lyautey. A la seconde question deux réponses positives s'imposent : dans les avant-propos de ses livres, Lyautey a pris soin de dénier à ses ouvrages toute valeur littéraire. Par modestie ou fausse-modestie ? Il semble bien qu'il ait pris très tôt conscience du phénomène littéraire, car dès 1875, il montre l'importance que revêt pour lui le fait de confier à un écrit ses pensées et ses émotions les plus secrètes. Vers 1880, dans les lettres d'Algérie, il précise à ses amis qu'il écrit plus pour lui-même que pour ses correspondants voilà le signe clair d'un besoin de cristalliser par l'écriture la fluidité des impressions. En 1883, à l'issue de son premier séjour en Italie, son premier souci est de remanier les lettres qu'il a adressées à ses amis et d'en extraire un recueil soigneusement élaboré qu'il fait lithographier à cinquante exemplaires pour une diffusion limitée mais évidente : preuve d'une vocation d'écrivain et d'une certaine conscience de la valeur de ses dons. Plus tard, en 1893, pendant son voyage en Europe Centrale, en Turquie, en Grèce et en Italie, il exigera que sa famille conserve ses lettres, les recopie, les classe selon un ordre indiqué par lui-même, et à son retour il travaillera à tête reposée sur la rédaction primitive ; publié ou non, le texte aura acquis une dimension nouvelle, celle de l'achèvement. Mais, déjà, la lecture attentive des manuscrits nous foumit une preuve décisive du don majeur de l'écrivain, celui de trouver d'emblée la forme parfaite où s'incame l'idée ou l'impression ; avant tout remaniement, le premier jet est souvent chez Lyautey une réussite. A partir de 1895, ses lettres du Tonkin recueilleront l'approbation d'un cénacle choisi d'écrivains, de professeurs, d'historiens, d'hommes politiques, qui l'encourageront à poursuivre sa correspondance, précieuse à leurs yeux sur des plans divers. Ce sera pour lui la consécration de ses dons littéraires et dès lors la voie sera ouverte à la publication. Lyautey joint donc au besoin et au plaisir inlassables d'écrire la conscience de sa valeur littéraire. En outre, I'intérêt de ses écrits est considérable. Témoin et acteur d'événements historiques de première importance, notamment sur le plan colonial, il a transcrit ce qu'il a vu et ce qu'il a vécu, comme César et comme le prince de Ligne, mais à travers les prismes d'une sensibilité et d'une imagination débordante s; s'il a arpenté le monde, ce fut la plume à la main, et son œuvre prend à travers l'espace et le temps des dimensions cosmiques. Mais au delà des problèmes généraux qu'il eut à résoudre, un drame personnel, que nous découvrons au fil des pages, I'a déchiré tout au long de son existence. Conscient d'un grand destin à assumer, impatient de le forger, il nous offre le spectacle d'un incessant combat contre lui-même et contre les barrières que dressent les hommes et les circonstances, pour parvenir enfin, au faîte de son ascension, à subir l'humiliation et l'échec et à reconstruire son univers sur des bases nouvelles ; la passion de l'Absolu et son incarnation dans le monde sont deux exigences qui confèrent à cette œuvre la grandeur d'une tragédie. Si ce livre voit le jour, c'est grâce à la compréhension et au soutien de mon maître d'Aix-en-Provence ; le Professeur Maurice Regard m'a prodigué, dès la naissance de mon projet, les encouragements et les conseils les plus féconds. Qu'il trouve ici l'expression de ma très profonde gratitude. (...) 8ème THÈME : Lyautey, un style d’architecture et d’urbanisme 81 - Lyautey s'exprime Le 10 décembre 1926, le Maréchal Lyautey présidait une conférence de Mr. Jean Gallotti, inspecteur des Beaux Arts au Maroc « Comment on sauve l'art d'un pays » En conclusion, Tout en rappelant ce qui avait guidé son action au Maroc dans les domaines de l’art et de l’urbanisme. Lyautey rendit aussi hommage à ses collaborateurs et en particulier à Henri Prost. Par la suite, Lyautey fit encore appel à l'artchitecte Albert Laprade pour réaliser, lors de l'Exposition coloniale de 1931, le Palais de la Porte dorée destiné à être le "Musée permanent des colonies".
Extrait concernant l’urbanisme (in Paroles d'action le Lyautey - 1927)
« M. Gallotti vient de vous dire combien nous nous étions efforcés d'assurer la sauvegarde des monuments et des sites et aussi notre souci de permettre à la vie européenne de se développer le plus largement possible avec le minimum de risques pour ce que nous regardions comme un devoir de préserver. Il est évident que rien n'a été plus funeste pour l'originalité et le charme des villes algériennes, de tant de villes d'Orient, que leur pénétration par les installations européennes modernes. Cette pénétration fut d'ailleurs aussi incommode pour les uns que pour les autres. La grosse erreur des débuts fut de regarder la ville indigène comme pouvant s'adapter aux nécessités des Européens, d'y installer, dans des édifices publics ou privés, des services administratifs, des casernes, d'y entraîner à leur suite le commerce et l'industrie, en bouleversant forcément toute la ville indigène par l'élargissement des rues, le percement de grandes artères, n'y laissant subsister que des flots de plus en plus réduits, abandonnés des notables, où l'on ne trouve plus entassés que des bouges et des mauvais lieux. Or, il ne s'agit pas seulement ici de la satisfaction esthétique d'amateurs épris de beauté et d'art, il s'agit aujourd'hui, j'ose le dire, pour ceux qui ont la charge d'être les premiers gouvernants, d'un devoir d'État. Depuis le développement si récent et si intense du grand tourisme, la préservation de la beauté d'un pays a pris un intérêt économique de premier rang. Attirer le grand tourisme, c'est tout gain pour les budgets publics et privés. Le touriste ne vient pas dans les pays où il ne reste plus rien à visiter (....). J'ai eu la chance dès le début d'avoir des collaborateurs d'art de premier choix. La guerre m'en amena d'autres : grands blessés revenus du front, tels Mr Laprade, architecte dessinateur de tant de goût, le grand artiste Boutet de Monvel, le peintre Vicaire venu de la villa Médicis, des mobilisés dirigés au cours de la guerre sur le Maroc, Mr Ricard, Mr de la Nézière, Mr Rousseau, le graveur Lobel Riche, et j'en oublie; et enfin le grand urbaniste Mr Prost qui fut réellement l'inspirateur de nos villes nouvelles et de la conception qui leur permit de voisiner sans trop de dommages avec les villes indigènes. L'essentiel, sur ce point capital, c'est qu'il y ait le moins de mélanges possible entre les deux ordres de villes. Il y a, à l'origine de la mutilation et même souvent de la disparition des villes indigènes, dans les pays où s'installe l'Européen, la tendance toute naturelle, forcée même au début, à s'installer là où seulement se trouvent la vie et les affaires, c'est-à-dire dans la ville indigène. A très bref délai chacun s'y gêne et en souffre. L'indigène, parce que toute sa vie, son indépendance, ses coutumes, ses habitudes, s'en trouvent atteintes; I'Européen, parce que, quoi qu'il fasse, il n'arrive pas à y réaliser le confort, I'aisance, I'espace, les conditions d'hygiène dont il a besoin, surtout à partir du jour où les grandes entreprises, une classe supérieure de colons, viennent se substituer aux petits mercantis du début. Il faut de larges rues, des boulevards, de hautes façades pour magasins et logements, des canalisations d'eau et d'électricité, qui bouleversent la ville indigène, y rendant la vie coutumière impossible. Vous savez combien le musulman est jaloux de l'intégrité de sa vie privée, vous connaissez les ruelles étroites, les façades sans ouvertures derrière lesquelles se cache aux regards toute la vie, les terrasses où s'épanouit l'existence familiale et qui doivent rester à l'abri des regards indiscrets.
Or, la maison européenne, ses étages superposés le gratte-ciel moderne de plus en plus élevé, c'est la mort de la terrasse, c'est l'atteinte portée à la vie traditionnelle. Toutes les habitudes, tous les goûts s'opposent. Peu à peu la ville européenne chasse le natif, sans pour cela réaliser les conditions indispensables à notre vie moderne, de plus en plus étalée et trépidante. En somme, il faut toujours, et vite, finir par sortir de la ville indigène et créer de nouveaux quartiers. Mais il est alors trop tard: le mal est fait; la ville indigène est polluée, sabotée; tout le charme en est parti et l'élite de la population l'a quittée. L'expérience de trop de villes algériennes était là pour nous l'enseigner. Il était donc bien plus simple, puisque l'on devait en sortir, de commencer par se mettre dehors. C'est de là qu'est partie notre conception initiale. Toucher le moins possible aux villes indigènes. Aménager à leurs abords, sur les vastes espaces encore libres, la ville européenne, suivant un plan réalisant les conditions les plus modernes, larges boulevards, adductions d'eau et d'électricité, squares et jardins, autobus et tramways, et prévoyant aussi les possibilités d'extension future. Réunir dans un même quartier tous les services publics, tant pour la commodité réciproque de leur voisinage que pour la commodité du client qui, s'il s'agit d'un Français surtout, ne peut faire un pas ni remuer quoi que ce soit sans recourir aux «bureaux», et qui, dans la plupart de nos villes, à commencer par Paris, est forcé de courir d'une extrémité à l'autre, rejeté de bureau en bureau, car celui auquel il s'adresse n'est jamais celui qu'il faut, et le mal heureux est d'ailleurs hors d'état de le savoir. Prévoir des zones distinctes pour les « quartiers industriels, quartiers commerçants, quartiers de plaisance et de villas », lesquels, s'interpénétrant, ne font que se gêner les uns les autres. Cette conception, dans son ensemble, ce n'est certes pas moi qui en ai l'honneur, mais avant tout M. Prost, le très grand urbaniste qui s'était pénétré des très intéressantes conceptions américaines, allemandes, les avait appliquées déjà en Belgique, et apportait au Maroc l'aubaine de son expérience et de ses larges vues (....).
Les objections : la dominante (que de fois en ai-je eu l'écho, si l'on n'osait trop me le dire en face ! : « Il voit trop grand, c'est un somptuaire, un mégalomane ! » - Ah ! je la connais ! Eh bien, non, je ne voyais pas trop « grand ». Qu'on aille voir aujourd'hui. En maint endroit on est déjà forcé d'élargir. On ne voit jamais trop grand quand il s'agit de fonder pour des siècles. Et quand je repasse ma vie coloniale, c'est, vous me permettrez de l'avouer, une de mes plus hautes satisfactions de pouvoir évoquer sur bien des points du globe l'urbs condita (....). Mr Gallotti vous a dit que, grâce aux pouvoirs législatifs de Sa Majesté le sultan — et j'ajoute à son inépuisable bonne volonté à seconder nos vues —, nous avions eu le grand bénéfice de pouvoir établir des servitudes (....).
Le plus souvent, nous tenions le bon bout grâce à nos “limiers”, à mes chers agents des Beaux Arts et à leurs auxiliaires bénévoles, gens de goût, touristes de passage qui spontanément s'offraient à empêcher des désastres, tel cet artiste de charmant talent qu'est Jacques Majorelle, fixé à Marrakech, lui aussi investi du droit de m'écrire directement et qui fut pour Gallotti un constant et précieux collaborateur. Et j'en reviens, pour conclure, à la part qui dans cette œuvre revient si largement à M. Prost. Il nous apporta, avec son expérience, la science de l'Urbanisme. Si le mot est récent, la chose est ancienne. L'admirable ordonnance de tant de villes de l'antiquité gréco-romaine, de l'Égypte, de l'Orient et de l'Extrême-Orient et, chez nous, de tant de créations des XVlle et XVllle siècles, Versailles, le Nancy de Léopold et de Stanislas, le Tours entre la Loire et le boulevard Bérenger, et tant et tant d'autres, c'est de l'Urbanisme. Mais « I'urbanisme ~, tel que nous l'apporta Prost, ce n'est pas seulement le sens et le goût des ordonnances harmonieuses, élégantes et vastes, c'est leur conciliation avec les nécessités du XXe siècle, avec les besoins d'une usinerie et d'une circulation qui ne connaissent plus de limites et qu'il faut satisfaire. Déplorons, en passant, que cette science et ce goût de 1'« urbanisme» ne soient revenus à la France que si tardivement, si timidement, que les pouvoirs publics s'en soient, dans les cinquante ou soixante dernières années, si souvent désintéressés. C'est ainsi qu'à Nancy, à côté de l'adorable ville du XVllle siècle, se sont créés de nouveaux quartiers si médiocres, pour lesquels il eût été si simple de prévoir une « ordonnance » plus heureuse, respectant des sites qui auraient dû être sacrés, telle la vieille Croix de Bourgogne au bord du vestige de l'étang où périt Charles le Téméraire, la vieille Commanderie - et il n'y a pas de ville dont on ne puisse en dire autant.
Ce fut la bonne fortune du Maroc d'avoir, dès l'origine, cette belle équipe d'artistes et d'hommes de goût, passionnément épris des beautés de ce pays, résolus à se donner à leur sauvegarde, tel celui que vous venez d'applaudir (Mr Gallotti). Ils avaient, entre autres, cette qualité d'être aussi peu fonctionnaires que possible, fort insoucieux des clichés réglementaires, des scrupules juridiques, assez peu révérencieux vis-à-vis des hiérarchies constituées, bref anti-fonctionnaires, anti-réglementaires, anti-routiniers, tout ce qu'il fallait pour ne pas trouver place dans la hiérarchie de la vieille Administration française..., mais tout ce qu'il fallait pour être agréés dans une hiérarchie qui avait le plus souvent pour règle de prendre le contre-pied de tous les principes dont s'inspire en général l'Administration française.» 9ème THÈME : Lyautey et sa politique musulmane Avant d’évoquer les éléments constitutifs de sa politique musulmane, il est bon de rappeler que le Maréchal Lyautey avait voulu reposer au Maroc, en terre d’Islam, et qu’il avait rédigé à l’avance son épitaphe ainsi libellée : « ICI REPOSE LOUIS HUBERT GONZALVE LYAUTEY QUI FUT LE PREMIER RÉSIDENT GÉNÉRAL DE FRANCE AU MAROC 1912-1925 DÉCÈDE DANS LA RELIGION CATHOLIQUE DONT IL REÇUT EN PLEINE FOI LES DERNIERS SACREMENTS PROFONDÉMENT RESPECTUEUX DES TRADITIONS ANCESTRALES ET DE LA TRADITION MUSULMANE GARDÉE ET PRATIQUÉE PAR LES HABITANTS DU MOGHREB AUPRÈS DESQUELS IL A VOULU REPOSER EN CETTE TERRE QU’IL A TANT AIMÉE DIEU AIT SON ÂME DANS SA PAIX ÉTERNELLE »
91 - Lyautey et la mosquée de Paris Le Maréchal Lyautey avait été invité à présider le jeudi 19 octobre 1922 la cérémonie du premier coup de pioche des travaux de fondation du mirhab (sanctuaire) de la mosquée de Paris. A cette occasion on put entendre un discours marquant de Lyautey (lire ci-après) dans lequel se dessine la vision de Lyautey sur la place de l'Islam dans les relations franco-musulmanes. Quelques mois auparavant, le 1er mars 1922, avait eu lieu la cérémonie au cours de laquelle avait été déterminé l’orirentation de la mosquée. NOTA Les cérémonies du 1er mars et du 19 octobre 1922 et même celles des 15 et 16 juillet 1926 pour l'inauguration finale de la mosquée de Paris ont souvent été mélangées, voire tronquées par des narrateurs peu soucieux du respect des paroles et des faits historiques et qui ne font qu'un copier/coller du vrai comme du faux sans vérifier les sources. Historique succinct de la mosquée de Paris
Le premier projet de construction d'une mosquée à Paris remontait à 1842, dans le quartier Beaujon. Il fut repris dès 1845 par la société des arabisants de France. Périodiquement évoqué (en 1878, en 1885 lors de l'ambassade marocaine, etc ....), ce projet fut relancé une nouvelle fois sans succès en 1895 par le Comité de l'Afrique française. Se référant à cette dernière étude le journaliste Paul Bourdarie n’eut de cesse de faire aboutir le projet de mosquée parisienne qui prit corps au cours de l’été 1915 grâce à l’appui de différentes personnalités. L’architecte Maurice Tranchant de Lunel travailla sur les plans de la future mosquée. En 1912, Lyautey tout juste arrivé au Maroc comme Résident Général de France l’avait choisi et nommé directeur du service des Beaux-Arts, Antiquités et Monuments historiques qu’il créait et du service spécial de l’architecture. Tranchant de Lunel assumera ces fonctions jusqu’en 1920 avec une interruption de trois ans pour cause de mobilisation et de blessure pendant la guerre 1914-18. Trois architectes, Tronquois, architecte de la ville de Paris, Eustache, ancien architecte délégué à la ville de Paris et Mantout, architecte du protectorat français au Maroc se sont rendus à Fès, Meknès et Marrakech pour faire des relevés de plans de mosquées et prendre des photographies en 1921.
Nul doute que Lyautey ait eu à connaître de la concrétisation du projet de mosquée à Paris et s’y soit intéressé, d’autant plus que le Sultan Moulay Youssef y joua un rôle prépondérant C’est finalement Si Kaddour ben Ghabrit (1868-1954), ministre plénipotentiaire, président de la Société des habous des lieux saints de l'lslam qui réunit les derniers concours nécessaires à la construction de cette mosquée sur un terrain cédé par la Ville de Paris. Sur ce terrain situé dans le 5ème arrondissement à côté du Jardin des Plantes se trouvaut l'ancien hôpital de la Pitié. A bien des égards, la mosquée de Paris n’est pas sans rappeler la mosquée Quaraouiyîn de Fès Djedid.
Lyautey préside le 19 octobre 1922 la cérémonie de début des travaux de la mosquée de Paris
Le 19 octobre 1922, la cérémonie de commencement des travaux du mirhab de la mosquée placée sous la présidence du Maréchal Lyautey, réunit 800 personnes représentant dix pays. Le discours que Lyautey y prononça, en réponse à celui de Si Kaddour ben Ghabrit, est intéressant, car selon ses propres termes, Lyautey y «expose sa conception de la politique religieuse à suivre en pays d’Islam ».
Comme la majorité des paroles et des écrits de Lyautey, le texte de ce discours reste actuel et peut alimenter bien des réflexions.
Discours du Maréchal Lyauteylors de la cérémonie du 19 octobre 1922 marquant le début des travaux de construction du mihrab de la mosquée de Paris
Messieurs,
Le 1er mars dernier, M. Maurice Colrat, alors Sous-Secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil, aujourd'hui Ministre de la Justice, présidant la cérémonie de l'orientation de cette mosquée, disait : “Quand s'érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l'Île de France qu'une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses”. On ne pouvait mieux penser ni mieux dire. Quelle parole ne répond mieux au caractère de la cérémonie d'aujourd'hui. Nous allons voir donner le premier coup de pioche de la fondation du mihrab, vers lequel, dans la mosquée, se tournent les fidèles pour invoquer le Dieu unique. Ce coup de pioche, je ne le donnerai pas moi-même, malgré l'invitation qui m'en a été faite, car j'estime que ce geste, seuls les Musulmans sont qualifiés pour le faire. C'est donc aux représentants des nationalités musulmanes ici présentes que je demanderai d'accomplir cet acte rituel. Mais ce que je voudrais dégager de cette cérémonie, ce sont les raisons profondes, et de notre respect pour une religion qui n'est pas la nôtre, et de notre incontestable sympathie pour l'lslam. Ce que je voudrais, c'est qu'avant tout, les Musulmans ici présents, et par eux tous leurs coreligionnaires, sentent, comme ils l'ont si souvent constaté de ma part au Maroc, le sérieux et la gravité avec lesquels nous nous inclinons devant les manifestations de leur foi religieuse, sentent qu'il ne s'agit pas ici d'un de ces accès de dilettantisme qu'on a vu parfois pousser la curiosité du public parisien vers des cultes exotiques dans un engouement momentané. Non, il s'agit d'une chose profondément noble et haute, comme M. Maurice Colrat l'a si bien exprime quand il a évoqué, dans les paroles que je citais tout à l'heure, nos Églises en face de votre mosquée. Loin de nous séparer, nos religions, si l'on veut s'élever suffisamment haut pour ne considérer que la communauté d'un sentiment dont elles sont chacune une si noble expression, nous apprennent le respect réciproque de nos convictions. Et si notre sympathie se manifeste ici avec tant de sérieux et de sincérité, c'est qu'elle nous est dictée par un sentiment né de quinze siècles d'hérédité religieuse. Il en est de même pour les Musulmans. Qu'on le sache bien, en effet, et ma longue pratique de l'Islam, mes voyages à travers le monde me permettent d'en témoigner, la France, quelles que soient les convictions philosophiques et les croyances de chacun de nous, reste toujours, aux yeux de la plupart des peuples d'outre-mer, cette « Nation des Francs », leur apparaissant avec la structure traditionnelle que dix siècles d'histoire lui avaient donnée, celle dont les Consuls, naguère encore, quels que fussent le régime politique ou leurs convictions propres, présidaient officiellement la célébration dominicale du culte, identifie avec notre Drapeau dans toutes les “Échelles du Levant”. Elle reste à leurs yeux la pépinière la plus féconde de ces missionnaires qui vont porter de par le monde l'amour et la langue de notre pays : témoin le prestige de ce collège de Beyrouth où, parce qu'aucune pression religieuse n'y était exercée, accourait une jeunesse musulmane d'élite et où, avant notre venue au Maroc, le Grand Vizir, ici présent, avait lui-même fait élever ses fils pour leur donner une culture française. Ce dont il faut bien être pénètre, si l'on veut bien servir la France en pays d'Islam, c'est qu'il n'y suffit pas d'y respecter leur religion, mais aussi les autres, à commencer par celle dans laquelle est né et a grandi notre pays, sans que ce respect exige d'ailleurs la moindre abdication de la liberté de pensée individuelle. De pratiquer ce respect, de comprendre la profondeur et la grandeur de l'esprit religieux, non seulement chez ces peuples, mais partout où on le rencontre, notre force et notre prestige ne peuvent que bénéficier. L'été passé, lorsqu'un groupe de jeunes hommes sortis des collèges franco-musulmans de Fez et de Rabat vint visiter la France, et que je les interrogeai ici sur leurs impressions, je vis qu'une des plus fortes était celle qu'ils avaient ressentie à Marseille, à Notre-Dame de la Garde, en y voyant l'affluence ininterrompue et la ferveur des fidèles de toutes conditions sociales. Ils ne soupçonnaient pas qu'une telle force religieuse subsistât encore en France, et ils en éprouvaient une grande et confiante sympathie. Quand, il y a huit ans, je résolus de créer à Rabat un collège franco-musulman destiné à l'élite de la jeunesse, j'en parlai au préalable au sultan Moulay Youssef, d'abord, parce que c'est mon devoir formel de ne prendre aucune mesure sans lui en avoir référé, et aussi parce que je trouve toujours, chez ce Souverain plein de sagesse, défenseur éclairé de sa foi, veillant avec une clairvoyante sollicitude sur les besoins de son peuple, les avis les plus judicieux. A ma grande surprise, je ne le trouvai pas disposé à entrer dans mes vues. Pensant qu'il ne s'agissait que d'une impression passagère, je revins après quelque temps à la charge, rencontrant encore la même répugnance: — «Mais enfin, me dit-il, à qui comptez-vous confier la direction de ce collège, à un Français ?» — « Bien entendu, répondis-je, il n'y a pas encore ici de personnalités indigènes matériellement préparées pour assurer une telle organisation.» -- « Je le comprends bien, mais envisagez-vous quel qu'un? » — « Oui.». Et je lui nommai un Français arabisant. Son visage s'épanouit et son acquiescement fut immédiat. Je le remerciai de cette preuve de confiance pour l'agent qu'il avait si souvent vu avec moi. — « Oh I me dit-il, je le connais très bien, je sais qu'il est chrétien, qu'il élève ses enfants dans la même foi et je suis ainsi assure que la foi de nos enfants sera sauvegardée.» Or, j'ignorais absolument les convictions religieuses de cet agent, ne m'en étant jamais inquiété, et c'était le Sultan, beaucoup mieux informé que moi, qui me les apprenait. Si je vous raconte ce fait, c'est qu'il me parait significatif entre tous de la ligne à suivre si nous voulons garder le respect et la confiance des peuples d'Islam dont la destinée est associée à la nôtre. Notre sympathie pour l'Islam. Elle s'est, certes, vivement manifestée ces temps derniers avec toute la puissance, la force irrésistible des grands courants d’opinion populaire qui, avant tout, dans les démocraties, commandent l'orientation des pouvoirs publics. La clairvoyance, la fermeté, I'action pacificatrice de notre Président du Conseil ont trouvé l'appui et l'approbation de l'immense majorité du pays. Mais, pour instinctif qu'ait pu être cet élan de l'opinion, il a, lui aussi, des causes profondes. La France est, malgré des ébullitions de surface, un pays d'ordre et de tradition. Son effort de reconstitution depuis quatre ans, son labeur, I'effort entre tous de ses admirables campagnes, en témoignent hautement. Si j'ose employer ce mot dont la terminologie politique a déformé le sens, mais qu'il faut prendre ici dans son étymologie, je dirai qu'il est essentiellement conservateur, conservateur de son bien, de sa propriété, de ses traditions ancestrales. Or, si la légende a souvent présenté l'lslam comme avant tout destructeur, anarchique, intolérant, laissez-moi témoigner, avec l'autorité d'un homme qui ne l'a pas observé dans des livres, mais sur place, en Orient comme en Occident, que cette légende, aujourd'hui du moins, est fausse. Et si l'on rappelle une fois de plus les oppressions dont furent victimes des minorités de nationalités et de croyances différentes, reconnaissons qu'hélas, après les années que nous venons de vivre, après ce que nous avons vu de violences sur tant de points du monde, où notre pays est peut-être un des seuls à la charge duquel on ne puisse mettre un acte d'oppression collective, bien peu de nations ont la conscience assez nette pour s'ériger en juges. Pour parler d'abord du Maroc, parce que « c'est ma partie », son peuple a, avec le nôtre, de nombreux traits communs. Une bourgeoisie éclairée, pondérée et, faut-il le dire pour compléter l'analogie, aimant les fonctions d'État, mais aussi très soucieuse de tout progrès et avant tout du progrès économique. Une population rurale laborieuse, attachée à son bien, ayant le sens de la culture, ordonnée au point que, débarquant en Chaouïa en 1907, à voir ces champs bien alignés, nettoyés, aux sillons rectilignes, je pouvais me croire en campagne française,—paisible, ayant de la sécurité et de la paix un souci qui, dans la carence de l'autorité, nous fit accueillir en libérateurs par toutes ces populations des plaines constamment violentées par les pillards de la montagne. Ce sont bien là les éléments d'ordre social, bases de toute société organisée. Ces caractères vous les retrouvez à tous les degrés chez les Musulmans de l'Algérie et de la Tunisie. Vous savez tous, de même, ce qu'est le fellah d'Égypte, et le patient labeur au prix duquel il a développé la fertilité de l'admirable vallée du Nil. Et voici qu'aujourd'hui apparaît en Orient, sous la direction du véritable homme d'Etat qui s'est révélé en Mustapha Kemal, un effort de restauration nationale, de construction et d'organisation auquel vont nos ardentes sympathies. (1) Il n'est pas inopportun que l'écho en parvienne là-bas où sont forcément parvenus d'autres échos. Qu'on y sache que nous n'admettons pas comme faits acquis de véritables erreurs historiques, et que, mettant notre honneur, consacrant tous nos efforts ~ faire aboutir l'oeuvre de paix à laquelle le monde aspire, nous ne pouvons que déplorer toute parole qui risque d'en compromettre ou d'en retarder la réalisation. Je m'arrête ici. J'ai simplement voulu indiquer — très imparfaitement et je m'en excuse — que la France, libérale, ordonnée, laborieuse, I'Islam rénové et rajeuni, m'apparaissent comme deux forces, deux grandes et nobles forces, dont l'union, ne poursuivant ni la violence, ni la destruction, ni la domination, mais l'ordre, le respect de leurs revendications légitimes, I'intégrité de leurs territoires nationaux, la tolérance pour toutes les croyances et toutes les convictions, doit être un facteur prépondérant pour la paix du Monde. Et c'est dans cette pensée que je prie Son Excellence le Grand-Vizir de l’Empire chérifien et les représentants des nationalités musulmanes de donner le premier coup de pioche de la fondation de ce Mihrab, d'où monteront des cœurs de nos amis musulmans, comme des sanctuaires chrétiens voisins, d'ardentes prières vers le Dieu unique pour qu'il répande sur le monde la concorde et la paix. --------------------------- (1) Lyautey a choisi de publier le texte de ce discours dans un ouvrage paru en 1927 “Paroles d’Action” qui est une sorte de recueil de messages à transmettre à la postérité. Il a ajouté au texte de son discours le renvoi suivant : « Le Gouvernement d'Angora (Ankara) avait eu, à ses débuts, toutes les sympathies de l'élite musulmane du Maroc et je m'en faisais là l'écho, en présence des représentants de cette élite. Mais il n'en alla plus de même dès qu'on vit ce régime prendre un caractère si nettement opposé au culte religieux, aux coutumes traditionnelles, auxquels les Marocains restaient si fermement attachés. » ----------------------------
En réponse à ceux qui l’accusaient ou l’accuseraient d’ « islamophilie » il écrit dans un lettre du 21 décembre 1922 : « Je revendique dans ma sympathie pour l’Islam de n’avoir jamais abdiqué rien de nos origines, de notre intellectualité, de nos traditions de Français. »
Inauguration de la mosquée de Paris
Une fois terminée, la mosquée fut inaugurée officiellement et civilement le 15 juillet 1926, en présence du Président de la République Gaston Doumergue et du Sultan du Maroc Moulay Youssef. L’inauguration religieuse de la mosquée de Paris eut lieu le lendemain vendredi 16 juillet par le Sultan Moulay Youssef, Commandeur des croyants en tant que Souverain du Maroc.
Il faut noter que le Maréchal Lyautey n’avait pas été invité par le gouvernement de la République à l'inauguration de la mosquée. Évincé du Maroc dans des conditions humiliantes, neuf mois plus tôt, par le cartel des gauches, il subissait ainsi un nouvel affront du gouvernement français.
Deux jours plus tard, le 18 juillet, comme pour désapprouver ce procédé sectaire à l'égard de celui que certains appelaient le « Maréchal de l'Islam », le Sultan Moulay Youssef rendait visite au Maréchal Lyautey dans son château de Thorey, près de Nancy, où il reçut un accueil à la fois solennel et amical.
Trois mois plus tard, Lyautey devait assister à une cérémonie qui lui tenait à coeur, puisqu'il devait y honorer son ami Joseph Chailley-Bert. Apprenant la présence du Président Doumergue, il écrivait à son ami : « Le Président de la République ! Il me va donc falloir rencontrer ce personnage, lequel, depuis un an, a ignoré mon existence, n'a même pas répondu à la démarche de politesse que j'avais faite auprès de lui, le 1er janvier, n'a pas daigné envoyer un de ses officiers prendre de mes nouvelles, de moi, Maréchal de France, à la clinique, lors de mon opération en avril, alors que tout le Paris qui compte y est accouru, n'a pas eu l'idée de m'inviter à quoi que ce soit lors du voyage du Sultan et n'a même pas prononcé mon nom dans son discours à la mosquée, où il a célébré l'œuvre de la France au Maroc, où, pour lui, comme pour d'autres gouvernants, je ne suis jamais allé. J'ai pour sa lâcheté et sa veulerie le plus absolu mépris. » 92 - La politique musulmane de Lyautey au Maroc Communication faite le 10 novembre 2006 au COLLOQUE « LYAUTEY »
par le Professeur Jamaâ BAÏDA Université Mohammed V-Agdal Faculté des Lettres & Sciences Humaines Rabat - MAROC S'il est une personnalité française qui a marqué le Maroc contemporain, une personnalité française dont l'empreinte est jusqu'à aujourd'hui fort présente dans la mémoire collective des Marocains, dans les manuels scolaires de leurs enfants, dans leur patrimoine architectural et historique, dans les cérémonials politiques de leurs dirigeants, dans les symboles même de leur Etat…c'est bien Louis Hubert LYAUTEY, premier Résident général de France au Maroc entre 1912 et 1925. Faut-il rappeler, en guise d'illustration, que le choix de la ville de Rabat comme capitale du pays (au lieu de Fès) est l'œuvre de Lyautey, que l'actuel drapeau du Maroc est également l'œuvre de Lyautey ? La pérennité des choix de Lyautey est due en premier lieu à ce qu'on appelait alors communément « la politique indigène » de Lyautey. Or, la pierre angulaire de cet édifice est bien ce que Lyautey a appelé lui-même « sa » politique musulmane ; une politique dont il avait soigneusement tissé les fils des années durant, qu'il perfectionnait à merveille, qu'il s'efforçait de protéger des immixtions étrangères, fussent-elles de ses supérieurs hiérarchiques au gouvernement français. C'est lui-même qui écrivit un jour: « Je n'ai tenu le Maroc que par ma politique musulmane. Je suis sûr qu'elle est la bonne et je demande instamment que personne ne vienne gâcher mon jeu » (1) Quels étaient les fondements et les manifestations de cette politique musulmane? Quels étaient ses sympathisants et ses détracteurs ? Quel sort lui ont réservé les successeurs de Lyautey à la Résidence de Rabat ? Ce sont là quelques questions, parmi d’autres, auxquelles nous allons essayer de répondre pour mieux comprendre cette politique dite musulmane…et par la même occasion mieux connaître son artisan, Lyautey, un homme politique hors du commun. Dans la politique musulmane de Lyautey, il y a très certainement, des idées de Gallieni selon lesquelles il fallait gouverner en utilisant les compétences officielles des autochtones et en sauvegardant leurs institutions. Ayant servi sous son commandement au Tonkin et à Madagascar, Lyautey s'est imprégné de ces idées qu'il a fallu, après 1912, adapter au cas marocain. Dans la politique musulmane de Lyautey, il y avait aussi toute son expérience longuement mûrie en Algérie et aux confins algéro-marocains. Son contact avec les tribus pendant la période d'infiltration dans l'Oriental selon le procédé dit de « tâche d'huile », l'avait convaincu de la nécessité au Maroc d'une politique française forcément différente de celle suivie alors en Algérie. Les sanglants événements de Fès en avril 1912, au lendemain desquels Lyautey avait été nommé Résident général de France au Maroc, avait renforcé les convictions coloniales de Lyautey qui avaient d'ailleurs une base légale dans le traité du Protectorat (30 mars 1912) qui stipule dans son article 1er que le régime instauré au Maroc « sauvegardera la situation religieuse, le respect et le prestige traditionnel du Sultan, l'exercice de la religion musulmane et les institutions religieuses, notamment celles des Habous ». Réalisant qu'il était quasiment impossible de mener sa politique avec un Sultan aussi peu docile que Moulay Abdelhafid, Lyautey le fit remplacer par son frère Moulay Youssef en août 1912 en respectant les formes traditionnelles de la bai’a que ce changement nécessitait…et la voie était désormais libre pour entamer l'oeuvre de Lyautey au Maroc. Pour ce faire, il s'entoura de collaborateurs de talent qui avaient une connaissance précieuse des pays et des hommes, tels que Kaddour ben Ghabrit, Michaux-Belllaire, le colonel Berriau, Justinard, Simon et bien d'autres… Par la politique des égards envers la monarchie, voire la restauration de celle-ci, Lyautey entendait donner l'impression aux Marocains qu'ils n'étaient pas en train de vivre avec la présence française une rupture totale avec leurs traditions. Le Sultanat était là comme garant de la continuité. Toute la politique du Protectorat allait désormais être conduite au nom du monarque, Amir Al Mouminin (Commandeur des Croyants). Et comme le risque était grand de voir l'image de Moulay Youssef ternie par cette étroite collaboration avec l'occupation « chrétienne », il fallait à tout prix amener les Marocains à ne pas voir sur le trône un simple sultan de « façade », un sultan des « roumis » ( Moulay Abdelaziz en a déjà fait les frais quelques années auparavant). C'est pourquoi Lyautey entoura d'égards Moulay Youssef et se présenta même comme son « » premier serviteur « ». Lors d'un dîner offert aux notables marocains à la Résidence de Rabat, le 28 septembre 1917, à l'occasion de l'Aïd el Kébir, Lyautey déclara :
« Tout en représentant ici le Gouvernement de la France, je m'honore d'y être le premier serviteur de Sidna [Monseigneur]. Vous savez tous les sentiments de respectueux attachement que je Lui porte, non seulement qu'ils sont dus à Sa personne sacrée, mais parce que je trouve en Lui l'appui le plus constant, les conseils les plus judicieux, un amour de Ses peuples et un sentiment de la justice qu'on ne peut qu'admirer, et aussi le plus vif désir de voir Son Empire se développer dans l'ordre, dans la paix et dans le progrès » (2).
L'attachement au Sultan, au risque de donner l'impression que le représentant de la république française laïque était entrain de restaurer au Maroc un régime monarchique à essence théocratique, était une opération politique assez claire dans l'esprit de Lyautey ; bien que certains n'ont pas manqué d'y voir l'expression à peine déguisée de ses sentiments monarchistes refoulés. Dans une lettre au président du Conseil, ministre des Affaires Etrangères, en date du 29 octobre 1924, Lyautey s'explique :
« Notre base la plus solide, c'est ( et je crois que cela saute aux yeux avec une évidence incontestable) de nous appuyer plus que jamais sur l'autorité du Sultan et sur tous les principes traditionnels auxquels la masse des Marocains de notre zone reste encore fidèlement attachée ».
Comme la personnalité du Sultan était indissociable de l'Islam, le Résident général s'appliquait à témoigner à la religion musulmane, aux Ouléma-s, aux institutions religieuses comme les Habous, la plus grande révérence. Cette politique s'était avérée d'une très grande utilité pendant la Première Guerre Mondiale lorsqu'il fallait faire face à la politique musulmane de l'Allemagne qui s'était infiltrée au Maroc par le truchement de la Turquie ottomane et de ses partisans de tous bords. Lyautey n'avait alors pas hésité à faire promulguer par les plus illustres ouléma-s marocains, tels que Bouchaïb Doukkali, Ahmed Ben Al Mawwaz ou Abdelhaï El Kettani, des Fetwa-s ( consultations rendues par les théologiens) qui avaient pour objet le dénigrement systématique du Khalifa ottoman. Lyautey était même allé jusqu'à présenter Moulay Youssef, « descendant direct du Prophète Mohammed », comme alternative. C'était là un projet paradoxal éphémère lié au contexte particulier de la Grande Guerre ; car Lyautey n'avait cessé, en d'autres occasions, de souligner la spécificité marocaine, « l'autonomie religieuse du Maroc sous l'autorité sauvegardée de son propre Commandeur des Croyants » ( Discours, en avril 1923). Le premier serviteur de Sidna a donc multiplié les gestes censés plaire aux musulmans, en particulier à l'élite composée de bénéficiaires des habous, des Ouléma-s de l'université al-Qarawiyyine, des chefs de confréries, etc. C'est sous cet angle qu'il faut lire le dahir de 1914 relatif à l'expropriation pour utilité publique ; son article 7 a pris le soin d'épargner les mosquées, les sanctuaires et les cimetières musulmans. C'est également sous le même angle qu'il faut interpréter l'interdiction faite par Lyautey aux missionnaires chrétiens de s'adonner à tout prosélytisme en milieu musulman. Les rédacteurs de la revue franciscaine “Le Maroc Catholique” eurent du mal à comprendre et à accepter cette interdiction contraire à leur désir impatient de semer à travers le bled berbère « la bonne parole ». Enfin, il faut signaler, dans le même ordre d'idées, l'opposition farouche de Lyautey à la propagande sioniste au Maroc et à la collecte de fonds en faveur de Foyer National Juif en Palestine au lendemain de la déclaration de Balfour ( 1917). Il a fallu attendre la fin du proconsulat de Lyautey pour que soit autorisée à Casablanca la parution de la revue sioniste L'Avenir Illustré (1926) et pour que soit tolérée l'organisation d'une journée Chekel au Maroc pour collecter des fonds de soutien au projet sioniste en Palestine. C'est que de telles activités, souvent menées par des activistes étrangers au Maroc, étaient susceptibles, selon Lyautey, de heurter la sensibilité de la majorité musulmane et d’engendrer des problèmes intercommunautaires nuisibles à la présence française. Elles pouvaient également avoir pour conséquence de jeter l'élite musulmane dans les bras du panislamisme oriental alors en pleine effervescence. Par sa politique musulmane au Maroc, Lyautey espérait faire contrepoids à l'Islam oriental, à ses yeux un peu trop politisé. Or, l'Islam de l'occident musulman, c'était aussi, pour Lyautey, l'Islam de France qui vit un de ses jalons symboliques posé par l'édification de la mosquée de Paris ; une sorte de geste de reconnaissance envers ces nombreux musulmans qui ont fait tant de sacrifices pour la France pendant la Guerre 1914-18. Lyautey ne pouvait manquer pareille occasion en parfaite concordance avec sa politique musulmane au Maroc. En présidant à Paris, le 19 octobre 1922, la cérémonie de début des travaux du Mihrab de la mosquée, le Maréchal profita de l'occasion pour développer ses idées sur sa politique religieuse. Il mit particulièrement l'accent sur la cohabitation possible et souhaitable entre l'Islam et le Christianisme en rappelant des paroles que Maurice Colrat ( futur ministre de la Justice) avait prononcé quelque temps auparavant (il était alors secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil) lors de la cérémonie de l'orientation de la même mosquée : « Quand s'érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l'Ile-de-France qu'une prière de plus, dont les tours catholiques de Notre-dame ne seront point jalouses » (3) Sensible à la valeur symbolique des rituels religieux, Lyautey refusa de donner personnellement le coup de pioche du lancement des travaux ; par son sens des égards, il en laissa le soin et l'honneur à des personnalités musulmanes. Ce sens aigu des symboles, très bien perçu par les musulmans du Maroc, on en eut quelques autres exemples significatifs en février 1923 à Fès. Lyautey étant terrassé par une violente hépatite, des prières pour sa guérison furent récitées, à la demande du Sultan, à travers le pays. Sa demeure à Fès a même été investie par les représentants de confréries et de corporations religieuses pour y implorer Allah pour le rétablissement du Maréchal. Touché par cette marque d'affection, Lyautey fit venir dans sa chambre l'Imam de la mosquée Moulay Driss qui apporta avec lui des cierges qu'il plaça près du lit du malade. Une fois rétabli, le résident se rendit à l'église catholique de Fès, puis au sanctuaire Moulay Driss. Par respect d'une tradition qu'il a lui-même imposé dès le début du Protectorat aux non-musulmans, il s'abstint de pénétrer dans le Horm, c'est-à-dire dans la pièce abritant la tombe du Saint ; privilège laissé aux seuls musulmans : « J’ai toujours interdit aux Européens de pénétrer dans vos mosquée. Ne me faites pas violer la règle que j’ai moi-même établie. Vous seriez amenés par la suite à tolérer, pour d’autres, ce que vous me demandez aujourd’hui de faire » (4)
Il faudrait peut-être mentionner ici que la politique musulmane de Lyautey a fini par répandre au Maroc une rumeur selon laquelle le Résident général aurait embrassé l'Islam. Un écho de cette rumeur est relaté dans un petit livre que Didier Madras a consacré à Lyautey. Il raconte que lors d'une réception à la Résidence de Rabat, un caïd avait remarqué que le mur du salon était orné par un morceau d'étoffe de la Kaaba, qu'un pèlerin marocain avait offert au Résident après son retour de la Mecque. Le notable commente ce détail en confiant à son compagnon : « Si on a offert un morceau de tapis au Général, c'est parce qu'il est musulman comme nous ; seulement il ne peut pas le dire à cause de son gouvernement ». La déduction trop hâtive du caïd marocain n'a de valeur que dans la mesure où elle reflète une rumeur qui s'était propagée dans certains milieux musulmans comme conséquence de la politique marocaine de Lyautey. Certes, cette rumeur ne pouvait qu'amuser le Résident qui faisait tout pour soigner son image auprès de l'opinion autochtone. Les canaux et les moyens de cette propagande étaient divers et je n'en mentionnerai que celui qui avait pour cible les lettrés musulmans ; il s'agit du journal Essaâda ( la Félicité). C'est un journal de langue arabe fondé à Tanger depuis octobre 1904. En 1913, après avoir érigé Rabat en capitale, Lyautey fit transférer Essaâda auprès de la Résidence générale pour mieux refléter les orientations officielles. En l'absence d'autres journaux arabes pouvant le concurrencer, Essaâda propagea efficacement, avec un dosage méticuleux, les principes et les manifestations de la politique lyautéenne auprès des lecteurs. Des lettrés marocains de renom, tels les historiens Boujandar et Benzidane, prirent part à cet effort. En 1925, c'est le rédacteur en chef d'Essaâda, Ali Trabelsi, qui regroupa et publia, avec l'assentiment et les encouragements de Lyautey, à l'Imprimerie officielle du Gouvernement chérifien, un ouvrage de 198 pages, comprenant un corpus d'allocutions de Lyautey qui reflètent le mieux sa politique musulmane au Maroc ; discours suivis de quelques poèmes faisant l'éloge du Maréchal. Le livre en question porte un titre en prose soutenue : « Le collier des perles : discours de politique indigène de Monsieur le Maréchal Lyautey » L'indigénophilie ou l'islamophilie de Lyautey n'était pas du goût de tout le monde, surtout pas d'une certaine presse casablancaise à l'accent algérianiste. Elle fustigea sans ménagement la politique des « » Bosquets sacrés « » (la Résidence) et dénonça ce qu'elle appelait « » la fiction du Sultan « » ou encore la « » république chérifienne « ». Lorsqu'un dahir de janvier 1919 vint ouvrir des sections « » indigènes « » au sein des chambres professionnelles, les colons s'en émurent et leur presse qualifia les Marocains de Béni-oui-oui serviles. Par ailleurs, cette même presse n'avait cessé de dénoncer ce qu'elle considérait dans la politique de Lyautey comme une tendance incompatible avec les idéaux de la République française. A ce propos, et pour ne citer qu'un exemple, Christian Houel écrivit : « […] les Protectorats sont des déguisements qui doivent avoir fait leur temps. Ou tout l'un ou tout l'autre. Ou le Sultan sans fonctionnaires, ou les fonctionnaires sans Sultan. Il nous faut, en effet, une administration responsable et non couverte par une immunité chérifienne inaccessible et perpétuelle. Il n'y a pas de question indigène qui puisse changer le dilemme. Les Marocains s'étant toujours peu souciés de leur Sidna, s'en soucient encore moins aujourd'hui qu'il est l'obligé des chrétiens […] » (5).
En fait, pour Houel et bien d'autres colons, il fallait appliquer au Maroc le même régime colonial qu’en Algérie voisine. Or, il y avait dans le corps administratif de la Résidence de chauds partisans de cette option qui allait à l'encontre de l'esprit du traité de Fès (1912). Lyautey en avait conscience, d'où sa fameuse circulaire dite de « » coup de barre « » ( novembre 1920) qui rappelait aux proches collaborateurs et aux hauts fonctionnaires que seules l'administration indirecte et la politique des égards envers les autochtones et leurs institutions pouvaient assurer à la présence française au Maroc une certaine longévité et le respect des Marocains. La circulaire en question n'a pas été prise en compte par l'administration coloniale. Après le départ de Lyautey, tous ses successeurs se voulaient officiellement Lyautéens, mais très peu parmi eux avaient réellement assimilé ses principes ou voulu en faire leur politique. Au crépuscule de la présence française au Maroc, alors que la crise franco-marocaine faisait rage, le journal libéral Maroc-Presse se souvint tout d'un coup de la circulaire de Lyautey et en publia le texte. Dans son dernier numéro, le 30 avril 1956, il tint à souligner qu'il s'était toujours inspiré, dans son combat libéral de la notion lyautéenne du Protectorat ; c'est-à-dire un régime devant impérativement évoluer pour aboutir à l'émancipation du peuple marocain. On retrouvera ce document in extenso dans les annexes de l’ouvrage de Hassan II, Le Défi…chose qui doit avoir un sens ! Pour conclure cet exposé, j’aimerais citer quelques mots prononcés par Lyautey , le 19 décembre 1918, aux obsèques du colonel Berriau, l’un des inspirateurs de sa politique musulmane : « J’ai lu quelque part qu’ il n’y a pas d’œuvre humaine qui, pour être vraiment grande, n’ait besoin d’une parcelle d’amour. Eh bien, cette parcelle d’amour- et plus qu’une parcelle, c’est ce qu’il avait mis dans son œuvre, et c’est pourquoi il fut un des grands- peut être le plus grand manieur de politique musulmane que nous eussions aujourd’hui dans l’Afrique du Nord ». (6) Ces paroles, en hommage à Berriau, s’appliquent parfaitement à leur auteur, à Lyautey, surnommé parfois le « Maréchal de l’Islam».
Avant de mourir en juillet 1934 et de quitter à jamais son salon marocain du château de Thorey,-Lyautey avait pris soin ( dès février 1933) de dessiner le croquis du Mausolée qui allait abriter sa dépouille après sa mort à Rabat, comme il avait écrit l’épitaphe qui allait orner son tombeau , un texte qui montre bien que dans sa politique musulmane il y avait bien une parcelle d’amour pour un pays et un peuple : « Ici repose Louis Hubert Gonzalve Lyautey, qui fut le premier résident Général de France au Maroc (1912-1925), Décédé dans la religion catholique dont il reçut en pleine foi les derniers sacrements. Profondément respectueux des traditions ancestrales et de la religion musulmane gardée et pratiquée par les habitants du Moghreb auprès desquels il a voulu reposer en cette terre qu’il a tant aimée. Dieu ait son âme en sa paix éternelle ». _________________________ (1) Cité par Daniel Rivet- Lyautey et l’institution du Protectorat français au Maroc, 1912-1925 ; Ed. L’Harmattan, Paris, T. II, 1988, p. 122. (2) Lyautey, Paroles d’action ; Ed. de La Porte, Rabat, 1995, p. 276-277 (3) Lyautey, Paroles d’action ; op. cit., p. 416 (4) Didier MADRAS- Dans l’ombre de Lyautey…p. 89 (5) L’Action Marocaine, 21 septembre 1919. Cf. Jamaâ BAIDA- La presse marocaine d’expression française, des origines à 1956 ; Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Rabat, 1996, p. 110-113 : (6) Lyautey, Paroles d’action, op.cit., p. 312.
10ème THÈME : Lyautey, créateur d’une administration marocaine 11ème THÈME : Lyautey et le développement économique du Maroc
12ème THÈME : Lyautey, l'humanitaire et la santé publique au Maroc
En attendant la mise en ligne de l'article se rapportant à ce thème, voir les citations du Docteur Colombani dans le 2ème thème intitulé : « La politique coloniale de Lyautey »
13ème THÈME : Lyautey, le devoir social et le catholicisme social 14ème THÈME : Lyautey et l’Europe Dès 1897, Lyautey traitait de “fratricide la guerre de 1870, “qui, écrivait-il, avait brisé, dans l'oeuf l'Europe unie, logique, historique que préparait le long travail des siècles.” Apprenant la déclaration de guerre en 1914, Lyautey s'exclame: "Ils sont fous. complètement fous, une guerre entre Européens est une guerre civile". En 1919, il avait soumis, sans succès des propositions aux négociateurs du traité de Versailles une note illustrée de cartes où figuraient notamment, et comme obstacle aux retours possibles d'une hégémonie germanique, une puissante fédération en Europe centrale.
15ème THÈME : Lyautey et les Pays de la Méditerranée Entre 1920 et 1923 Lyautey avait incité les gouvernements à développer en Méditerranée une politique musulmane d’envergure. Ce visionnaire des relations à instaurer avec le Maghreb et au delà, dans une lettre du 22 janvier 1922 adressée au Président de le République Raymond Poincaré plaidait pour une “Fédération franco-musulmane des Pays de la Méditerranée entre Gibraltar et Bosphore”, un projet qui avait devancé les tentatives récentes mais plus délicates dans ce sens.
16ème THÈME : Lyautey et son ouverture sur le monde 161 - LYAUTEY CITOYEN DU MONDE Extraits du discours prononcé par François Piétri, Ministre du budget, au banquet de clôture, en novembre 1931, de l'Exposition Coloniale Internationale.
Je ne puis manquer d'évoquer, Monsieur le Maréchal, avec quelque émotion, ces journées du printemps de 1930 où, Ministre des Colonies moi-même, je parcourais à vos côtés, l'énorme et bourdonnante ruche qui constituait alors l'exposition naissante.
Vous m'y conduisiez de place en place, à cette allure rapide que vous êtes seul à pouvoir supporter sans fatigue, la carte à la main, martelant d'ordres brefs, de critiques décisives, votre laborieuse randonnée, et l'on sentait déjà l'oeuvre colossale se formant sous chacun de vos pas, surgir majestueusement et vivante, parmi les arbres de Vincennes.
Monsieur le Maréchal, vous savez qui vous avez devant vous, car votre mémoire est aussi riche que votre cœur ! J'étais alors, je suis toujours, celui qui, pendant sept ans entiers, vous suivit, de la même manière, au même rythme, avec la même et obéissante admiration, à travers l'immense chantier devenu, depuis, le Maroc nouveau, cette autre merveilleuse entreprise de votre génie colonial...........
A cet égard. Monsieur le Maréchal, et pour typiquement françaises que demeurent votre œuvre et votre personne,
vous êtes, à la vérité, CITOYEN DU MONDE, et votre figure en vient presque à échapper au pays qui est le votre pour s'identifier avec le grand apostolat intercolonial, avec cette loi bienfaisante de l'homme qui groupe, pour la libération véritable des peuples, et non plus leur servitude, l'effort de toutes les nations qui ont apporté à la nôtre, et à vous-même, leur concours et leur amitié...........
Monsieur le Maréchal, pardonnez-moî une fois de plus, l'obsessîon des souvenirs d'Afrique. Pendant la guerre, pour mieux tenir le Maroc, que vous aviez héroïquement dégarni de ses troupes au profit des fonds d'Europe, vous avez eu l’audacieuse idée de multiplier les foires, les conférences, les manifestations économiques de tout ordre. Vous avez détourné les esprits des fureurs destructives de la guerre, en les fixant sur les douces images du travail et de la paix. Or, sans l'avoir voulu, voici que, grâce à cette vivante exhibition de l’effort colonial, c'est encore la même et ingénieuse tactique que vous vous êtes trouvé opposer à la sourde offensive de la crise.
Ainsi, Messieurs, à ceux qui pouvaient douter jusqu'à l'écœureineiit, de la valeur du travail humain, votre commissaire général, compris et secondé par chacun de vous, a su montrer que certaines forces fraîches de renouvellement et de survie demeuraient intactes, et que le deuil de l'ëconomie mondiale rencontrait sa consolatîon et son oubli dans le prodigieux avenir des activités d’outre-mer. 162 - Une occasion pour Lyautey d’un hommage aux États-Unis d’Amérique
Honoré par l'Association catholique américaine des chevaliers de Colomb au cours d”une cérémonie organisée le 23 août 1920 à Strasbourg, Lyautey, reçu quelques semaines plus tôt à l’Académie française et sur le point de repartir au Maroc, écrit à ce sujet dans “Paroles d’action” :
« L'Association catholique américaine des chevaliers de Colomb, voulant honorer l'effort colonial de la France, spécialement pendant la guerre, tint à faire cette manifestation à Strasbourg, en m'offrant, au pied de la statue de Kléber, le bronze de la Victoire de Samothrace. Nous étions au lendemain des événements de Pologne, que la résolution du président Millerand et l'intervention du général Weygand venaient, en plein accord avec les États-Unis, de sauver — et, avec elle, I'Europe — du péril bolcheviste. Aussi ces événements tinrent-ils une large place dans les paroles échangées. »
Discours prononcé par Lyautey au pied de la statue de Kléber à Srasbourg en recevant le bronze : “La Victoire de Samothrace”.
« Lorsque j'ai reçu votre appel, il m'apparut d'abord que tant de chefs illustres étaient mieux désignés que moi pour un tel honneur, que j'ai commencé par m'y dérober. Ce ne furent que vos nouvelles instances, et le désir que m'en exprima, avant-hier, à Nancy, le président du Conseil, qui déterminèrent mon acceptation. Je compris en effet qu'il ne s'agissait pas d'un hommage à ma personne, mais aux troupes que j'ai l'honneur de commander, à l'effort colonial de la France. Vous avez voulu apporter votre témoignage à ces « fronts extérieurs » qui, comme il convenait, sont restés dans l'ombre, tandis que la grande lutte battait son plein sur notre sol, mais pour lesquels il n'y a eu ni armistice ni paix, sur lesquels on se bat toujours sans répit. Vous avez voulu rendre témoignage à l'œuvre coloniale de la France parce que, mieux que personne, vous la comprenez, parce que vous vous y reconnaissez, vous, les pionniers du Nouveau Monde, qui en avez appelé, pièce à pièce, les terres à la vie, et en avez fait, au prix de quel labeur et de quelle ténacité, I'une des créations qui honorent le plus l'humanité, parce que vous êtes les réalisateurs par excellence, à tel point que lorsque nous voulons atteindre un résultat avec l'activité la plus intense, nos instructions aboutissent toujours à cette formule: « Travaillez à l'américaine. » Vous avez voulu que cet hommage fût rendu ici à Strasbourg, sur cette terre d'Alsace, chère à nos cœurs entre toutes, reconquise d'hier. Si elle fut, en effet, le berceau de tant de grands soldats, elle l'est aussi de tant de pionniers de notre France extérieure, de l'Algérie où ses enfants essaimèrent pour échapper à l'oppression, de notre Maroc qui s'honore d'avoir reçu tant des siens. Pourrais-je oublier qu'en 1915, en pleine guerre, quand nous risquâmes notre première manifestation économique, I'Exposition de Casablanca, le morceau d'Alsace libéré de la veille voulut y participer, et que les industries de Thann nous y présentèrent une section alsacienne accueillie avec une gratitude et des sympathies sans égales ? Vous avez voulu que votre manifestation se fît au pied de la statue de Kléber, ce grand soldat alsacien, saluant en lui, avant tout, le soldat de l'armée d'Égypte, celui que Bonaparte jugea le plus digne d'en prendre après lui le commandement. C'est qu'elle est symbolique entre toutes du génie de notre race, cette expédition d'Égypte qui, en si peu d'années, jeta dans ce sol des racines si profondes qu'après un siècle et quart on y retrouve, ineffaçable, I'empreinte de notre langue, de nos institutions, des sympathies que son peuple nous voua. Et, voulant m'offrir un témoignage matériel de vos sentiments, vous avez choisi la « Victoire de Samothrace ». La voilà. La voilà dans sa beauté, évocation du génie de la Grèce, de cette mère des civilisations dont la chrétienté, le monde moderne ont recueilli le flambeau. Un retour effroyable de barbarie allait-il l'éteindre? Nous en avons eu l'angoisse, mais, une fois de plus, la France a été fidèle à son rôle éternel. Et voici que la barbarie recule, parce qu'il s'est trouvé chez nous un homme pour vouloir et pour oser, et un homme pour réaliser cette volonté : Millerand, Weygand. Et, sans hésiter, les États-Unis d'Amérique nous ont apporté leur appui, leur adhésion décisive, parce que vous avez compris que ce n'était pas seulement la Pologne, mais la civilisation et le monde qu'il s'agissait de sauver. Regardez-la, cette « Victoire de Samothrace »! Les ailes déployées, elle se porte en avant, vers l'Action féconde, et c'est bien vous encore. Elle se dresse sur la proue d'un navire, tels ces navires qui ont porté notre effort colonial sur tant de points du monde, ces navires qui, à travers l'Atlantique, vous ont amenés sur notre vieux sol pour la Victoire libératrice ! » Lyautey prend la parole lors des toasts au banquet du soir en ces termes :
« Je suis vraiment bien peu digne de la grande place que vous m'avez faite aujourd'hui, mais, puisque j'ai le privilège peu enviable d'être le doyen des généraux de l'armée française, c'est à moi qu'il appartient ce soir de lever mon verre au général Pershing, I'illustre chef de vos armées, à l'armée américaine, c'est-à-dire au peuple américain tout entier, dressé en armes pour la cause du droit et de la justice, à la Légion américaine, cette grande association de tous les combattants d'hier, qui s'est assigné la tâche d'entretenir chez vous l'esprit guerrier, garantie première et essentielle de la paix que nous désirons. J'ai aussi à compléter ce que vient de dire M. Alapetite lorsque, en termes trop élogieux pour moi, il rappelait l'œuvre de la France dans l'Afrique du Nord. Il laissait oublier que, pendant douze ans, il en fut un des grands et glorieux artisans. Aujourd'hui encore, lorsque je me trouve en face d'une difficulté à résoudre, d'un enseignement à chercher, c'est presque toujours à ce qu'il a fait en Tunisie que je me reporte. La souplesse de sa haute intelligence, la générosité de son grand cœur sont garantes de l'œuvre qu'il réalisera dans ces chères provinces. Et, d'accord avec votre pensée à tous, ma pensée va vers ceux qui se battent encore, officiers et soldats polonais, officiers français. Quand, il y a seize siècles, les hordes barbares d'Attila menaçaient de ruiner à jamais le monde civilisé, c'est sur la terre de France, dans les plaines de Châlons, qu'elles vinrent se briser. Trois siècles plus tard, c'est en France encore, à Poitiers, que fut arrêtée la ruée islamique. Et, aujourd'hui, c'est de France qu'est venu l'acte de volonté qui sauvera la civilisation. Et l'Amérique, sans hésiter, s'est dressée à côté de nous pour signifier à la plus odieuse des barbaries qu'elle n'irait pas plus loin. Chez vous, comme ici, on n'a pas cru qu'il suffit de se laver les mains. Dans l'histoire, cela s'appelle Ponce-Pilate, et la notoriété de l'homme qui livra le Juste à ses meurtriers n'a rien d'enviable. Grâce au Ciel, le chef de notre Gouvernement n'a pas cru, lui, qu'il suffit de se « laver les mains », il n'a pas cru qu'il pût abandonner la noble Pologne à peine ressuscitée, et, en suivant la ligne de l'honneur et de la conscience, il a, comme il arrive le plus souvent, servi au mieux les intérêts immédiats, non seulement de la Pologne, mais du monde. Que le nom de Millerand en soit à jamais glorifié. Il n'y a pas de grands peuples et de petits peuples. Il y a des peuples. Qu'ils s'appellent États-Unis, France, Pologne, Belgique, ils ont des droits égaux à la vie et à l'indépendance. Y a-t-il rien de plus émouvant que de telles évocations, ici, à Strasbourg, en terre d'Alsace, entre Américains et Français ? » 17ème THÈME : Lyautey et l’aviation française A partir de 1926, le Maréchal Lyautey qui a compris le rôle économique, politique et militaire que l'Aviation est appelée à jouer, accepte la présidence du Comité Français de Propagande Aéronautique (C.F.P.Ae) que lui propose André Michelin, le célèbre fabricant de pneus. Aux côtés du Maréchal Lyautey, André Michelin reste vice-président du Comité Français de Propagande Aéronautique qu'il avait créé en 1921 sur une idée : "Notre avenir est dans l'air"  Affiche du Comité Français de Propagande Aéronautique
Pour l’aviation française Une lettre du Maréchal Lyautey publiée par la “Revue de Paris” du 1er février 1927
" A la suite de l'article sur Genève et l'aviation allemande que M. Bouilloux-Lafont a donné à la Revue de Paris (numéro du 1er décembre 1926), M. le Maréchal Lyautey, président du Comité français de propagande aéronautique, a adressé à l'auteur la lettre suivante, où il trace, avec son autorité coutumière, les grandes lignes d'un programme rationnel en vue du développement de l'aéronautique française. Nous sommes heureux de publier cette lettre, dont on appréciera le haut intérêt."
Monsieur le Président, Je vous ai déjà fait savoir par lettre tout l'intérêt que, personnellement, j'avais pris à la lecture de votre remarquable article sur « Genève et l'aviation allemande » paru dans la Revue de Paris du ler décembre, et l'adhésion sans réserve qu'en tant que simple Français j'apportais à vos lumineuses conclusions. Aujourd'hui, c'est en qualité de Président du Comité français de propagande aéronautique, et au nom de ce Comité, que je viens à nouveau vous féliciter et vous remercier d'avoir si courageusement signalé au pays le prodigieux effort fait par les Allemands en matière d'aviation et le danger d'une application de ce même effort à des fins proprement militaires.
C'est, en effet, un rare bonheur pour notre groupement, qui cherche aujourd'hui à se dégager des limites trop restreintes d'une action purement technique, pour s'attaquer aux grands problèmes nationaux, de trouver l'appui d'une voix aussi autorisée que la vôtre. Car c'est précisément de l'étude des aviations étrangères, et notamment de l'aviation allemande, que le Comité de propagande entend désormais tirer les bases de son action et la justification de la tache qu'il se propose en tout premier lieu d'entreprendre, le développement de l'aviation commerciale française.
Nous possédons, certes, une aviation militaire importante par le nombre : la qualité moyenne de ses engins laisse peut-être prise à quelque critique, du fait que leur nombre met souvent les pouvoirs publics dans l'impossibilité budgétaire de modifier les appareils et de les tenir à l'état de perfection technique absolue, tels que les progrès de la science le permettraient parfois. Or, la plus grande leçon qui se dégage de la dernière guerre, c'est que ce n'est pas l’armée seule qui se mobilise : c'est la nation tout entière qui apporte à la défense du Pays la somme de ses forces intellectuelles et morales, comme de ses forces financières, industrielles et autres. Si bien que, si l'on veut avoir une idée de ce que vaut, dans un plan offensif ou défensif, un élément quelconque, ce n'est pas de la situation de cet élément, en tant que figurant dans l'armée active seule, qu'il faut faire état: c'est une intégration qu'il faut faire, ajoutant à cet élément le total de ce que représentent, dans l'économie générale du Pays, tous les éléments de même nature. A ce titre, il est incontestable que notre aviation militaire manque de similaire dans notre économie nationale : aucun des palliatifs que l'on a pu adopter, qu'ils s'appellent « Politique de soutien de l'industrie aéronautique », « Centres d'entraînement des Pilotes de réserve », etc..., ne prévaudra contre la seule solution logique : créer et développer une aviation civile qui fournisse des débouchés normaux à nos usines d'avions comme aux pilotes licenciés chaque année par nos escadrilles de guerre. En d’autres termes, et vous l'avez lumineusement exposé, l'Allemagne n'a pas d'aviation militaire, mais elle s'est constituée une puissante réserve d'aviation civile dont la mobilisation serait un j eu pour elle: la France possède une aviation militaire mais fort peu d'aviation civile. A tout prendre, et à ne considérer que cette face de la question, je me demande si la solution à laquelle nous avons quelque peu conduit les Allemands n'est pas préférable à la notre. Notre Comité a donc pris à tâche, par les premières raisons que voilà, la création et le développement en France d'une aviation commerciale. Mais il faut, ici, introduire un distinguo nécessaire. Nous reconnaissons, certes, l'importance primordiale des grandes lignes internationales ou intercontinentales : nous en précisons l'intérêt en toutes circonstances, mais nous estimons que leur réalisation est surtout oeuvre de gouvernement, parce que ces lignes expriment les desiderata de l'économie générale du pays, parce que leur création implique des ententes d'ordre diplomatique pour le survol des régions traversées, et, enfin, parce qu'elle nécessite des efforts financiers exigeant le concours des ressources budgétaires. Au demeurant, l'intérêt de ces grandes communications confine a l'évidence et le Comité juge qu'il y a lieu d'insister, plus particulièrement, sur la création d'un réseau intérieur national, caractérisé par les grandes transversales sillonnant 1a France de bout en bout. Ce réseau intérieur est le complément indispensable du réseau international : il l'alimente, il en répartit le trafic, il multiplie les organisations d'infrastructure, il donne une activité complémentaire et fort utile à notre industrie aéronautique, il offre des débouchés nouveaux et importants à nos pilotes, il prépare l'aviation touristique et individuelle, il constitue la réserve nationale et civile de notre aéronautique militaire, il crée, enfin, comme on l'a dit, « le sens de l'air » qui fait encore trop défaut en France : les milliers de barques de pêche et de lougres de cabotage, naviguant le long de ses côtes, ont plus fait que la Peninsular et la Cunard Line pour développer en Angleterre le « sens de la mer ». Certes, il est bien évident que l'aviation commerciale ne pourra prendre son plein essor que le jour où le perfectionnement technique des engins et de l'infrastructure permettra de mieux réaliser les conditions de régularité qui font encore défaut. Mais en attendant ce jour, qui peut être très proche, ce n’est pas faire oeuvre vaine, si l'on a dans l'aviation la foi qu'elle mérite, que de passer aux premières réalisations : l'organisation des aérogares, la création des terrains d'atterrissage, les liaisons diverses à établir entre ces divers organes et les centres à desservir, l'ajustement des services qui auront à les exploiter, les services postaux, notamment ; tout ceci, malgré un trafic assez réduit au début, peut être mis en œuvra et mis au point dans des conditions telles que, le progrès technique survenant, l'ensemble sera en mesure de travailler à plein rendement : on peut penser, au surplus, que l'emploi d'engins adaptés à de pareilles fins, la recherche constante des améliorations dans l'agencement des -terminus, permettront de rendre, même dans ses débuts, notre aviation intérieure plus intéressante et moins coûteuse qu'on ne le croit communément.
Ce sont là les bases fondamentales de l'acte de foi que l'Allemagne proclame dans la navigation aérienne. Outre les possibilités, fort dangereuses pour nous, qu'il ménage ainsi à sa défense nationale, le Reich manifeste, en toutes circonstances, sa conviction que l'avenir est dans l'air, comme il affirma, jadis, qu'il était sur les mers. Tous, de l'autre côte du Rhin, sont persuadés à juste titre, à mon sens que les grandes communications de demain seront les communications aériennes et déjà des jalons sont plantés, des tronçons sont ébauchés de ce que sera bientôt le réseau international aérien dans le monde entier. Partant de cette donnée fondamentale, on se rappelle, de l'autre côté du Rhin, que, si la France au XIXe siècle a marqué un déclin économique, c'est, pour une bonne part, parce qu'elle n'a pas compris la révolution qu'allait apporter, dans les relations de peuple à peuple, le développement de la navigation à vapeur. Faute alors d'outiller ses ports ct surtout ses ports de l'Atlantique, faute d'organiser leur hinterland en y multipliant les voies d'accès de toute nature, elle a perdu lc bénéfice, aux confins occidentaux de l'Europe, d'un statut géographique qui semblait devoir faire d'elle Ic grand exutoire, vers les Amériques, de toute la production européenne et vice-versa. La morale ? Elle s'appelle Anvers, Rotterdam et Hambourg : l’Allemand ne veut pas à son détriment d'Anvers ni de Rotterdam aériens dans l'avenir ; il s'outille, il outille son pays à cet effet, convaincu que ses efforts ne comportent aucun bénéfice immédiat, envisagé du point de vue économique, mais qu'ils sont gros d'un avenir que la France semble méconnaître. Par là s'expliquent, et par là seulement, le fait qu'il assèche un marais à Hambourg pour y édifier l'aérogare au plus près de la ville, le fait qu'il édifie sur maintes de ses aérogares des hôtels-terminus monstres (900 chambres à Berlin), le fait qu'il y multiplie les liaisons avec les centres urbains à desservir (métropolitains, autostrades, tubes pneumatiques, etc..), le fait qu'il adapte au service de chaque ligne l'engin spécifiquement le mieux ; calculé en fonction du service qui lui sera imposé, descendant parfois à des puissances qui nous étonnent (Focke-Wulf de 75 chevaux sur neuf lignes, au moins)... Rien de militaire en tout ceci : le souci économique et commercial prédomine manifestement.
Nous multiplions la propagande par la parole auprès des organismes économiques du Pays, et le premier travail que nous leur demandons n’est qu'un travail d'études et de documentation statistique, qui permette de dresser de façon rationnelle le plan du réseau aérien français, avec indication de l'ordre d'urgence de ses lignes principales : c'est, au demeurant, un moyen pratique de mobiliser, un peu partout, dans la France entière, des bonnes volontés qui s'intéressent à la question. Une fois ce plan dressé et grâce aux concours que le Comité trouvera dans son sein même, où figurent les plus grandes banques du pays, nous dresserons le plan financier. Nous ne pensons pas, en effet, que le développement de l'aviation française se puisse envisager sous les aspects séparés soit des lignes, soit des terrains d'atterrissage, soit du matériel, soit, enfin, de l'effort financier nécessaire : la question est une et doit être traitée dans son ensemble, en prenant comme point de départ les possibilités de liaisons aériennes françaises et l'ordre d'urgence dans leur établissement. C'est pourquoi nous demandons aux Chambres de Commerce, qui répondent avec le plus grand empressement à notre appel, de nous aider à déterminer ces possibilités et cet ordre d'urgence. Vous m'excuserez, Monsieur le Président, de m'être étendu aussi longuement sur ce sujet ; mais, j'ai tenu à vous dire combien vos craintes étaient les miennes, combien elles étaient partagées par mes collaborateurs au Comité français de propagande aéronautique et quels étaient les moyens que nous avons jugés les meilleurs pour préserver notre Pays non seulement d'un désastre militaire, si jamais survenait à nouveau pour lui une ère de conflits armés, mais d'un désastre économique plus immédiat et peut-être plus dangereux. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération et de mes sentiments les plus dévoués. 18ème THÈME : Lyautey et la Lorraine 19ème THÈME : Lyautey et la jeunesse Le 18 février 1934, au lendemain de la tragique journée du 6 février, le Maréchal LYAUTEY préside la séance de gala commune aux trois Fédérations du Scoutislme français dont il est le Président d’Honneur. Le temps fort en est la conférence : “ Rêves sous la tente : Chez les scouts” par Lucien Goualle, secrétaire général des Scouts de France. Avant de passer la parole au commandant Lhopital, commissaire général des Scouts de France, pour présenter le conférencier, le Maréchal Lyautey a prononcé l’allocution suivante :
Allocution du Maréchal LYAUTEY, de l'Académie française Vous avez bien voulu me faire l'honneur de me demander de présider cette séance......... II y a, en France, trois Fédérations de Scouts, qui sont : les Scouts de France (c'est celle qui a organisé aujourd'hui cette conférence), présidée par le général de Salins, qui a pour précieux auxiliaire M. le chanoine Cornette, aumônier de la Fédération ; les Eclaireurs Unionistes, Fédération présidée par M. de Witt-Guizot, qui n'a pu venir, mais qui est représenté par un de ses délégués ; enfin, la troisième Fédération, celle des Eclaireurs de France, présidée par M. le directeur de l’école des Roches, M. Bertier, ici présent.
Le jour où, il y a bien des années, une de ces Fédérations a bien voulu me demander d'être son président d'honneur,j'ai subordonné mon acceptation à la possibilité de pouvoir les présider toutes les trois, condition à laquelle les deux autres ont bien voulu acquiescer avec un empressement qui m'a vivement touché : j'estimais, en effet, que si l'indépendance de chacune d'elles devait être légitimement sauvegardée, pour des motifs d'ordre confessionnel, d'ordre social, d'ordre régional, elles ont toutes le même but : servir la patrie, servir Dieu et servir le prochain.
J'ai demandé que la présidence effective de la réunion d'aujourd'hui fût assurée par le commandant Lhopital, commissaire général des Scouts de France. Et,certes, vous serez tous heureux de lui adresser votre salut, puisqu'il est un de ceux qui, à la tête des Anciens Combattants, a été glorieusement blessé, le 6 février, en cette journée tragique et sanglante du 6 février, douloureuse certes, à cause des deuils que nous avons eu à déplorer, mais qui n'en est pas moins la grande journée libératrice.
Le 5 février au soir, devant l’anarchie et le désordre montants, on en était à se demander s'il n'allait pas être douloureux d'être Français. Le 6 au soir, on se retrouvait fier d'être Français. La France d'ordre s'était réveillée. Tous, anciens combattants, groupements de jeunes, ligues, sans s'être concertés, s'étaient spontanément trouvés côte à côte pour manifester avec autant d'héroïsme que de désintéressement leur horreur du désordre et leur volonté que « cela change ».
Ce fut dans tout le pays la grande impression de soulagement et dé détente, et, à l’étranger, j'en ai Ïe témoignage, le sentiment que la France d'ordre s'était retrouvée. Et, maintenant, je laisse la parole au commandant Lhopital. (Longs et enthousiastes applaudissements.) 20ème THÈME : Lyautey et la Guerre de 1914-18 21ème THÈME : Les actions sociales de Madame Lyautey |